Place d’Italie, un peu en retard, comme souvent à cause du métro parisien. Une allure rapide, quelques pas chassés et nous arrivons à bon port : là où la magie de Nique opère.
L’endroit est chaleureux et cosy. Il y a des plantes, des cadres en bois de sérigraphie, et une petite boule de poils trônant dans le canapé gris du salon. Cette petite chose, c’est Chaussette, un chaton que Théo, fondateur de Nique, vient d’adopter. Récemment installée dans sa nouvelle maison, Chaussette connait déjà les lieux comme sa poche et nous fait faire un tour du propriétaire.
Un mini tigre adorable, des t-shirts délurés aux couleurs pops, de la musique alternative : on se sent vraiment comme à la maison. Ici, aucune règle, Nique est une marque qui se revendique libre et sans contraintes.
Pour l’anecdote, le projet est né d’une blague d’école qui a perduré : prendre à revers les méthodes de production et de communication des multinationales du textile et de la mode. Pour en savoir davantage sur cette démarche caricaturale, nous partons à la rencontre de Théo, ravi de nous faire pénétrer dans les entrailles de Nique.
Des histoires de graphisme et d’altruisme
Peux-tu te présenter en quelques mots et nous partager ton parcours ?
Théo : Je viens de la province profonde, d’un tout petit village près de Lyon. J’ai grandi à la campagne et j’ai passé près de 15 ans au milieu des vaches, des champs et de la bouse. Personnellement, j’ai un parcours assez atypique : j’ai arrêté l’école au lycée. J’étais une sorte de cancre qui préférait faire du skate plutôt que d’aller en cours. Après avoir pris cette décision, j’ai enchaîné des petits jobs divers et variés. En parallèle, je faisais un peu de street art, je peignais et je dessinais. Mon seul objectif était de devenir artiste alors que j’étais plutôt mauvais dans mes réalisations. Un soir, au bout de trois ans d’errance professionnelle et de doutes, je rencontre une dame lors d’un vernissage, qui était professeur dans un lycée de Mise à Niveau en Arts Appliqués à Lyon. La conversation s’enclenche et elle commence à me parler de graphisme.
Si le jeune homme avait déjà entendu parler de ce corps de métier, il ne s’y était jamais intéressé de près. Cette rencontre est une révélation et donne des ailes à Théo. Il réalise que le graphisme correspond à sa personnalité et à ses objectifs professionnels. Le parcours du combattant commence.
Théo : Ça commençait à être le moment où le graphisme devenait populaire et où les demandes pour les écoles de graphisme explosaient. Comme il y avait très peu de places dans les établissements publics et que mes parents n’avaient pas les moyens de financer mon parcours en école privé, je me suis battu pour arriver à mes fins. J’ai fait un DAU en cours du soir tout en travaillant à l’usine en parallèle : un rythme de fou qui a duré six mois. Six mois d’efforts intenses à la suite desquels j’ai obtenu mon diplôme. Ça m’a permis de postuler à un nombre incalculable de MANAA. Mon parcours ne laissait pas indifférent, mais on avait tendance à ne pas me prendre au sérieux. Pour l’un des dossiers de candidatures, j’ai vraiment tout donné, et j’ai finalement été accepté. Clin d’œil du hasard ou simple coïncidence, la dame que j’avais rencontré au vernissage quelques temps auparavant était devenue ma prof. Après une bonne année dans cet établissement, j’ai été pris pour un BTS de design graphique à Paris. Depuis, je n’ai jamais quitté la capitale.
Au sein de son BTS, Théo suit toutes sortes d’ateliers pluridisciplinaires. Un jour, il participe à un atelier de sérigraphie. Cette nouvelle discipline lui permet d’explorer un certain nombre de pistes qui le mènent à un concept créatif inattendu : produire de faux t-shirts Nike.
Théo : On est parti du constat que chaque pièce Nike représentait un modèle dupliqué à des millions d’exemplaires, avec un branding strict, hyper réfléchi et structuré. C’est une démarche que je trouvais très impersonnelle : on a tous le même t-shirt et les mêmes chaussures, qui, bien que semblables, font rêver les jeunes de chaque génération. On a donc pris le problème à l’envers en se disant qu’on allait faire nos t-shirts nous-mêmes dans un petit atelier au fin fond d’un établissement scolaire parisien. On appellerait ça « Nique », pour prendre le contre-pied de l’approche de Nike, aller à reculons de ce qui se faisait dans cette industrie où le logo est roi.
L’initiative fait boule de neige dans l’entourage de l’artiste. Les commandes se multiplient et le projet prend de l’ampleur. Agréablement surpris, Théo développe la marque et fait de Nique un habile mélange entre production en série et personnalisation.
Théo : J’avais fait un petit site pour que les gens puissent commander les t-shirts réalisés et toutes les pièces sont parties au bout de quelques jours. On avait pris soin de préparer chaque paquet avec un petit mot personnalisé pour remercier les acheteurs. On ajoutait dans chaque commande des petits dessins, une explication sur le processus de fabrication et parfois même des stickers absurdes. Chaque colis était volontairement différent, on misait sur une sorte d’hyperpersonnalisation pour faire plaisir à ceux qui nous soutenaient. On avait envie que ceux qui recevaient les t-shirts aient l’impression de recevoir un cadeau de la part d’un pote.
Une question de style(s)
Pourquoi avoir choisi le t-shirt blanc comme point de départ ?
Théo : Je trouve que le t-shirt blanc est un support d’expression infini. C’est la pièce qui me représente le plus et je suis convaincu qu’on en a tous un dans notre armoire. C’est à la fois simple et universel. De plus, je trouve que c’est un très bon vecteur de messages, un peu comme une pancarte. Si j’écris un message en énorme sur mon t-shirt blanc, j’ai 100% de chance pour que tout le monde le voit. Je trouve aussi que les couleurs ressortent plus facilement sur un textile neutre et basique. En termes de qualité d’approvisionnement et de facilité de customisation, c’est également un bon choix. Le t-shirt blanc était mon point de départ et puis finalement c’est resté.
D’où te vient cette esthétique minimaliste, cette passion pour la simplicité des traits ?
Théo : C’est grâce à l’acceptation de ce trait un peu enfantin et minimaliste que j’ai réussi à apprécier ce que je faisais artistiquement parlant. J’ai toujours aimé dessiner mais je n’ai jamais su dessiner : j’ai toujours eu cette envie en moi, mais je faisais des trucs qui ne ressemblaient à rien. Comme j’ai fréquenté des écoles liées à un aspect graphique, j’ai passé quelques années à cultiver cette frustration car je me comparais aux autres. Puis en BTS, je suis tombé sur une prof qui m’a fait comprendre que je n’avais pas besoin de savoir dessiner pour avoir une force expressive. Depuis, j’ai développé mon propre style graphique, et j’en suis plutôt fier. Je ne suis pas sûr que cette esthétique parle à tout le monde et fonctionne pour tous les projets, mais au moins ça me ressemble. Je suis quelqu’un d’assez direct, qui, dans la création a besoin de foncer, de se précipiter. Je n’aime pas le crayon de papier, les brouillons et toute forme de préparation. J’ai besoin de ce côté « one-shot », de cet élan spontané. Si c’est très beau, tant mieux, si ce n’est pas très beau et qu’il y a des défauts, tant pis, cela fait partie du processus de création, l’erreur est importante.
Une dynamique hors circuits
Si des milliers de t-shirts quittent les usines Nike chaque jour, l’atelier Nique est loin de ces chiffres astronomiques. Dans le petit local parisien, les quantités produites sont à des années lumières de ce que les mastodontes confectionnent journalièrement : les collections sont limitées, exclusives et dépassent rarement les 20 exemplaires.
Théo : J’essaye de respecter une cadence d’un nouveau produit par semaine. Je suis quelqu’un d’assez hyperactif, je sors beaucoup le weekend, j’ai besoin de m’évader et de m’aérer l’esprit. Du coup les lendemains de soirées, en général le dimanche, je reste chez moi et j’en profite pour bosser sur Nique. Le but derrière tout ça, c’est de me faire mes propres t-shirts. J’ai toujours aimé produire moi-même mes vêtements, du moins les customiser, afin d’avoir des pièces uniques. Plutôt que de faire un seul t-shirt, je profite du fait que la sérigraphie soit une méthode de production à la chaine pour en faire une dizaine. J’en garde un et je vends le reste. Si ça intéresse des gens, tant mieux, sinon tant pis.
“ Faire des t-shirts, c’est un peu mon passe-temps du dimanche. Certains vont à la pêche, moi je fais de la sérigraphie. ”
L’une des forces du projet réside dans sa dimension authentique. Entièrement réalisés à la main, les t-shirts sont bichonnés par Théo qui les transforme grâce à la sérigraphie. Au-delà de ce processus de customisation, le jeune homme s’occupe également de toute la chaîne de valeur qui se cache derrière les produits : le design, les emballages, les envois, la communication et le service après-vente.
Théo : Comme c’est mon bébé projet, j’ai toujours l’impression que les gens achètent une part de moi quand ils se procurent un t-shirt. Il y a un côté hyper gratifiant à tout faire soi-même, à proposer un produit qui soit unique et qui raconte une histoire. On est à une époque où le processus d’achat est très déshumanisé : tout le monde commande sur Amazon, plus personne ne privilégie les petites boutiques de quartier et quand on le fait, à la boulangerie par exemple, on nous force à payer par l’intermédiaire d’une machine. On est en train de perdre ce côté humain qui était, selon moi, un des piliers fondamentaux du commerce. Du coup, j’essaye de faire en sorte de restaurer ce lien d’une personne à l’autre en apportant un peu d’humour, un peu de magie et surtout beaucoup de sympathie.
“ Ma démarche est simple : je réalise un t-shirt pour moi et si tu veux faire partie de la team Nique, tu sais ce qu’il te reste à faire ! ”
Tantôt illustrateur, tantôt graphiste, parfois imprimeur et désormais apprenti tatoueur, Théo multiplie les casquettes et les projets. Pour s’épanouir, certains choisissent la routine, Théo, lui, explore, nuance, et s’aventure là où ses passions le guident. Au quotidien, cette polyvalence ardente est un besoin pour le jeune homme, elle contribue à son développement personnel.
Théo : Je pense que la gestion du temps est un peu le nerf de la guerre des freelances. On a tous des phases où on accepte trop de projets et à cause desquelles on s’impose un timing assez dense, puis d’autres phases, au cours desquelles on a plus de temps libre. Comme je touche un peu à tout, je peux me permettre de trier les propositions, en fonction de ce qui me plait. Je choisis les projets dans lesquels j’aperçois un vrai potentiel, une opportunité créative nouvelle. Du coup, je façonne mon rythme un peu à ma sauce, entre projets techniques et projets personnels.
Une dernière caresse au chat, et l’entretien se termine. Nous ressortons de notre bulle énergique, avec une question qui nous brûle les lèvres : le fake serait-il mieux que le vrai ? À y regarder de plus près, ce constat est presque devenu une réalité. Aujourd’hui, les marques n’hésitent plus à se singer elle-même, à se réinventer dans l’absurde, à se mettre en scène maladroitement en reprenant les codes de la contrefaçon.
Nique est ici précurseur dans ce trend d’autodérision, de remise en question du schéma légendaire où la marque est vénérée, presque idolâtrée et donc intouchable. Théo se plait à casser les codes et met en avant une autodérision assumée. La marque du futur serait-elle décomplexée, démystifiée, appréciée pour sa dimension satyrique, sans mépris ni arrogance ? Juste simple. Just do it.
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