Pour la première fois depuis la création de Souffle Chaud, nous avons rendez-vous dans la jolie commune de Montrouge. Si la destination est inhabituelle, c’est davantage l’originalité du projet que nous allons découvrir qui nous tient en haleine. Direction le sud de Paris, alors, pour rencontrer le duo de choc qui se cache derrière We Are Vertikal : Elisa (chargée de projet dans une entreprise de revêtements haut-de-gamme) et Sébastien (graphiste).
Tout le monde à bord, nous larguons les amarres !
Créé en 2015, We Are Vertikal, c’est de l’amour, de l’art, de la photographie et surtout beaucoup, beaucoup, beaucoup de bois. Ici, planche après planche, naissent des animaux protecteurs, entièrement réalisés à la main. Pénétrer dans l’atelier d’Elisa et Sébastien, c’est pénétrer dans un temple païen et tomber nez-à-nez avec des divinités contemporaines. Hypnotisantes et massives, elles portent sur leurs armures de chêne des parures de feutre ou de laine, des écailles de cuir ou de cuivre.
Protégé par une vingtaine de totems, le couple cherche aujourd’hui à faire connaître ses créations au plus grand nombre. Curieux d’en savoir plus, nous partons à la rencontre des réalisations du binôme, nées d’un savant mélange entre influences artistiques et clins d’oeil historiques.
Comment est-ce que le projet We Are Vertikal est né ?
Elisa : Depuis quelques années, on savait qu’on voulait travailler tous les deux, sans pour autant avoir une idée précise du médium qui nous permettrait d’associer nos envies et nos compétences. Notre projet de collaboration est le fruit d’un heureux hasard, d’un cheminement créatif naturel et spontané. Pour la petite histoire, We Are Vertikal découle d’un besoin personnel de décoration : on avait envie de donner une âme à notre chambre à coucher en chinant une sculpture sur une brocante. Comme les mois passaient et que l’on ne trouvait pas chaussure à notre pied, nous avons finalement opté pour une solution artisanale.
Sébastien : Au fur et à mesure, cette envie de décoration s’est transformée en un défi collectif. Petit à petit, on s’est mis à la recherche de matériaux et on a commencé à bricoler un petit peu pour essayer de matérialiser ce qu’on avait en tête. Très vite, on est arrivé à une réalisation qui correspondait à nos attentes. On a en même réalisé deux autres dans la foulée, tellement cela nous a plu. Au départ, on considérait cette activité comme un passe-temps, une façon de mettre la main à la pâte et de créer quelque chose d’unique. Puis avec le temps, comme ce jeu de d’assemblage nous plaisait vraiment, on a eu envie de le développer et de sortir du cadre de notre appartement pour toucher un potentiel public.
D’où vient le nom We Are Vertikal ? Qu’est-ce qu’il évoque et que représente-t-il pour vous ?
Sébastien : Le “We Are” nous a permis dès le début de nous affirmer comme étant un binôme. C’était très important pour nous de mettre en avant cette dualité, ces fondations partagées. C’est une forme de personnalisation du projet : on souhaitait insister sur le côté humain qui se cache derrière nos créations. En effet, nous réalisons les sculptures à deux, ensemble, de l’idée de départ, jusqu’aux finitions.
Elisa : Le “Vertikal”, lui, est venu assez naturellement de nos créations. Bien que toutes nos œuvres ne soient pas en hauteur, il existe bel et bien une verticalité dominante indéniable. Affirmer cette notion nous a permis de préciser notre démarche, de nous orienter principalement vers la fabrication de totems qui, une fois debout, suivent une droite verticale jusqu’à atteindre un point culminant.
Pourquoi avoir choisi le bois comme matériau principal ? Quelles sont ses spécificités ?
Elisa : Pour nos sculptures, on part toujours de petites planchettes de bois, toujours les mêmes, avec les mêmes dimensions et la même épaisseur. On s’interdit d’ailleurs de les redécouper. On part du principe que c’est à nous de nous adapter au matériau, pas l’inverse. En parallèle de cette “contrainte”, le chêne, lui, nous permet une grande flexibilité. On peut par exemple le peindre, le recouvrir d’autres éléments. Cela nous plaît de le transformer à loisir, sans pour autant le dénaturer.
Sébastien : La rigidité que l’on s’impose en conservant le format de base des planchettes nous amène souvent à repenser nos idées initiales. Bien souvent on a quelque chose en tête mais on ne peut pas la reproduire telle quelle, notamment en ce qui concerne les courbes. Cette raideur du bois entraîne inévitablement une certaine géométrie au rendu finale. En quelque sorte, la problématique engendre une esthétique. De plus, le fait de conserver cette planchette identique comme point de départ fait désormais partie de notre identité, c’est un peu notre signe distinctif. On considère cet élément comme notre matière première, un peu comme un architecte considère la brique ou le parpaing.
Elisa : Pour nous, le bois est ni plus ni moins qu’un matériau de construction. Mais autour de nous, pour beaucoup de personnes que nous avons pu rencontrer, le bois, sous cette forme de planchette, renvoie aux Kapla et à l’idée du jeu. D’ailleurs, quand on a exposé en mai dernier, les visiteurs nous parlaient automatiquement de leurs souvenirs liés à cette marque symbolique. Je pense qu’il y a un côté assez ludique dans ces planches de bois qui fait écho à l’enfant qui sommeille en chacun de nous. De cette simplicité des formes découle une forme de poésie, entièrement atteinte lorsque la construction est achevée.
D’où vous vient cet attachement particulier pour l’esthétique des totems ?
Elisa : On est très curieux et on aime beaucoup tout ce qui provient des autres cultures, notamment l’art brut et l’art premier parce que c’est l’essence même de l’Art et des civilisations. On y retrouve des divinités, des entités et des animaux divers et variés dont le rôle consiste à protéger un peuple ou des individus. On a voulu se servir de ces symboles évocateurs et ancestraux pour remettre cette notion de porte-bonheur au centre de notre démarche.
Sébastien : Avec la hauteur et le choix des emblèmes, on a à la fois un côté grandiose et une dimension réconfortante. Pour nous c’est important de créer une version moderne et graphique de ces idoles rassurantes et familières. On les considère comme des personnages hybrides, à la fois statues, membres de notre quotidien, confidents et présences positives.
Elisa : On aime beaucoup conserver l’aspect ornemental des totems. Habiller nos sculptures, c’est s’inspirer de traditions, perpétuer un geste, un peu comme à l’époque de l’Égypte ancienne où tout était très décoré. Dans beaucoup de civilisations, d’ailleurs, les représentations des dieux étaient souvent ornées de façon massive tout en gardant une part de finesse et une cohérence visuelle. On essaye d’apporter une touche contemporaine en mélangeant influences immémoriales et matériaux actuels.
Pour réaliser les sculptures, vous partez d’un croquis. Est-ce que l’étape d’après est une maquette physique servant de prototype ou une représentation digitale 3D ?
Sébastien : On ne fait jamais de maquette, on fonctionne toujours à l’instinct en essayant de nous approcher le plus fidèlement possible du croquis d’origine. Même si cela serait plus simple pour certaines parties des sculptures, je pense que cela gâcherait une bonne partie de la réflexion qui existe derrière l’assemblage. Je trouve qu’il y a un véritable charme qui réside dans cette recherche de la solution, c’est un défi sous-jacent qui nous pousse à nous armer de patience et de minutie.
Pouvez-vous nous parler davantage de votre pratique de la photographie ?
Elisa : J’ai toujours été passionnée par la photographie argentique. Depuis très longtemps, je prends des photos avec mon vieil appareil. Dans notre ancien appartement, j’allais jusqu’à développer les clichés moi-même. Pour notre projet actuel, on s’est inspirés de notre passion pour l’urbex, c’est-à-dire l’immersion dans des lieux abandonnés. Au-delà de leur esthétique, nous sommes particulièrement intéressés par leur passé et ce supplément d’âme qu’ils dégagent. L’argentique n’est pas un choix anodin. Selon moi, cette technique capture, dans mes pellicules, l’essence du lieu et l’atmosphère qui en émane.
Sébastien : On fait des recherches sur Internet en amont pour essayer de trouver les endroits les plus insolites et les plus fascinants en termes d’architecture ou d’aura. Dès qu’on a quelques lieux en tête, on prépare notre itinéraire et on part en voyage. Sur place, Elisa fait des séries de photos qu’on fait développer en rentrant à Paris. Ensuite, je passe cette base iconographique sur ordinateur et je réalise un travail d’assemblage en récupérant des éléments des bâtiments que l’on a visité. C’est une manière de réhabiliter des lieux chargés de sens et d’histoire, bien souvent oubliés et obsolètes. Une matière première “morte” redevient quelque chose de vivant après être passée entre nos mains.
Elisa : On utilise tout ce qu’on a pris en photo pour recréer un nouvel objet : le métal, la pierre, les structures existantes… On part d’un bâtiment vide, détérioré et même parfois en ruines, que nous nous réapproprions pour reconstruire un nouvel élément, un nouvel artefact. Il y a tout un jeu de graphisme et de montage pour rétablir un équilibre. Dernièrement, par exemple, on a réalisé une série de parures. De loin, on reconnaît parfaitement la forme de colliers, les éléments architecturaux donnant du relief à la composition. De près par contre, les détails prennent le dessus sur la silhouette globale et l’on peut apercevoir chaque petit composant de ce puzzle graphique.
Quelles sont les différences fondamentales entre vos deux projets : sculpture et photographie ?
Sébastien : Le projet de photo-montage est né après celui de sculpture. Même si les médiums sont différents, on reste dans la continuité de ce qu’on avait amorcé. En effet, dans les deux cas, il s’agit de construction, la logique est la même, ce n’est que la matière première qui change. Cela nous force à travailler différemment en fonction des projets, même entre-nous, car nous avons chacun nos spécialités et nos compétences.
Du coup, comment fonctionne votre duo en fonction des projets ? Qui fait quoi ?
Sébastien : En sculpture, je vais surtout m’occuper des croquis et poser sur papier la structure globale de la réalisation. Je suis un peu le bâtisseur brut de l’équipe. Pour ce faire, je m’intéresse aux formes et à leur possible évolution tout au long du processus. En photo, je prends en main la partie digitale qui correspond au détourage des éléments et de la recomposition en un nouvel objet.
Elisa : De mon côté, en sculpture, je réalise davantage les travaux de finitions et de décoration des structures. Comme je travaille dans les matériaux, je me pose souvent des questions sur les combinaisons de textures, d’ornements et de revêtements. J’essaye d’appliquer mon savoir-faire lors de l’habillage pour que le résultat final soit le plus propre possible. Pour la photo, je m’occupe des prises de vue. Je sélectionne les angles qui m’intéressent et dès qu’un détail ou un certain cadrage m’interpelle, j’appuie sur le déclencheur.
Sébastien : Quoi qu’il arrive, on discute de chaque étape ensemble afin de valider la trajectoire du projet. S’il y a des obstacles techniques ou des éléments de désaccords pendant la conversation cela nous permet de mieux préparer la suite, car chaque point de débat apporte une nouvelle solution. Pour que ça marche, il faut que l’on soit sur la même longueur d’ondes à la fin de notre discussion. L’harmonie pré-réalisation est gage de résultats.
Elisa : Pendant l’exécution, être à deux nous permet aussi de prendre du recul, d’avoir un regard extérieur sur notre propre travail. Nous ne faisons pas tout ensemble mais nous partageons nos travaux assez souvent pour avoir l’avis de l’autre. Cette remise en question constante nous permet de trouver sans cesse des pistes d’améliorations inattendues. En échangeant, on se rend compte que la somme de nos individualités fait que nous repoussons les limites pour aller plus loin.
Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien dans la réalisation de vos œuvres ?
Elisa : Comme on évolue dans des milieux professionnels très créatifs, on a toujours des tonnes d’idées à revendre. Du coup, on s’inspire, on accumule, on met des concepts de côté et ensuite on essaye de se retrouver pour tout mettre en commun. On se fait souvent des points en fonction de ce qu’on a vu et de ce qu’on voudrait faire. Au-delà de ça, on puise notre inspiration dans nos voyages et nos sorties culturelles. Par exemple, une de nos prochaines séries découle d’une visite au Metropolitan Museum of Art de New-York où nous avons été fascinés par la collection d’art brut.
Sébastien : De manière plus générale, on s’inspire également pas mal des matériaux dont on dispose à un instant T. Le fait d’utiliser de la plume ou du cuivre aura un impact considérable sur le choix de la thématique et des formes finales réalisées. Pour les couleurs, on s’inspire beaucoup de la manière dont sont traitées les couleurs dans la pratique du street art. Bien souvent, on y retrouve des couleurs assez vibrantes, déposées à la main.
Qu’est-ce que ce projet représente pour vous ? Pourquoi est-il si important ?
Elisa : Au-delà du projet matériel et de la création d’objets, je pense que ce qui nous anime c’est cet espace de liberté que nous avons réussi à mettre en place. Grâce à cette sphère créative différente de nos professions respectives, on fait ce qu’on aime, et surtout, on fait ce qu’on veut. On fonctionne comme un tandem, liés par le même support en équilibre et on avance dans la même direction, avec la même envie folle de créer et de donner vie à des créatures originales. C’est notre terrain neutre face au monde agité dans lequel on vit. We Are Vertikal est le seul endroit où on a totalement carte blanche et dans lequel on peut se permettre d’oser sans se poser de questions.
Sébastien : Malgré qu’on soit un couple soudé, le projet n’était pas sûr d’aboutir. Il y a une vraie différence entre le fait de vivre ensemble et de travailler main dans la main. Mais plus les jours passent et plus on se rend compte que notre alchimie est renforcée grâce à cet espace de totale liberté. We Are Vertikal, c’est également l’occasion pour nous de se redécouvrir et d’allier nos savoir-faire pour cultiver nos besoins d’épanouissements personnels et artistiques.
Comment est-ce que vous gérez l’équilibre vie professionnelle, vie personnelle et vie créative ?
Elisa : Quand on y pense, on se dit que notre activité artistique pourrait très facilement devenir du plein temps. Depuis quelques années, on y consacre toutes nos soirées et l’ensemble de nos week-ends. Ça nous est déjà arrivé de rentrer un soir et d’aller directement dans le sous-sol d’un ami avec nos plaquettes de bois et nos bombes de peintures pour peindre une bonne partie de la nuit.
Sébastien : Pour nous, créer est un véritable moment de détente. Même si effectivement cela nous prend beaucoup de temps, on considère ça comme étant un loisirs. Il faut néanmoins une bonne dose d’énergie et de motivation. On doit constamment faire des choix en mettant certaines activités de notre vie personnelle de côté car on a envie d’avancer. Même si on a quelquefois du mal à commencer, il est surtout très difficile de s’arrêter.
Quels sont vos projets et vos objectifs pour la suite ?
Elisa : L’idée c’est de sortir nos œuvres le plus régulièrement possible, en trouvant notamment des lieux d’exposition. L’objectif principal est un objectif de visibilité. Pour les mois à venir, nous souhaitons développer notre marque pour faire connaître notre nom au grand public, montrer nos savoir-faire, diffuser notre démarche et surtout commencer à exister dans le paysage artistique.
Sébastien : Je pense qu’en plus de développer notre notoriété, ce qui serait intéressant c’est de conceptualiser notre démarche, de varier les supports et de les complexifier. Pourquoi pas ajouter du sons et superposer des images qui viendront raconter une autre histoire, donner une autre dimension à notre travail. On garde en tête la thématique du rituel intrinsèquement liée aux totems. C’est peut-être une piste pour progresser vers des performances.
Avant de quitter les lieux, nous essayons de faire connaissance avec chacun des totems, d’établir une connexion afin d’en savoir encore un peu plus. Nous comptons sur chacun des esprits pour nous raconter une énième anecdote et nous dévoiler quelques secrets de fabrication. Entre magie, croyance et démarche artistique, nous tombons sous le charme du projet We Are Vertikal et du duo qui le porte.
Au-delà d’un sentiment de quiétude, c’est une véritable vague d’énergie qui se dégage de chaque œuvre. Nous n’avons qu’une envie : mettre la main à la pâte et construire à notre tour des édifices en bois. Pour autant, nous rangeons rapidement cette idée dans notre tiroir à lubies et en profitons pour remettre les pieds sur terre. Après la prise de hauteur, c’est l’heure du départ.
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