Réflexion en mouvement sur le processus de création
Rencontre avec Corine Perier - Artiste peintre à Paris - Souffle Chaud

Les animaux surréalistes de Corine Perier : De l’hybride à la chimère

Le numéro gagnant du jour est le “15”. “15” comme l’arrondissement dans lequel nous nous rendons aujourd’hui pour rencontrer, dans son atelier, Corine Perier, artiste peintre. Sur ses toiles, ne cherchez en aucun cas une vision terre-à-terre du monde, vous ne la trouverez pas. En effet, Corine est de ces créatifs qui dévisagent la réalité pour mieux se l’approprier, chiffonnant les codes pour mieux les réinterpréter.

Le sujet de prédilection de Corine n’est autre que le monde animal. Sous l’impulsion de son imagination, elle défie les lois de la physique et crée des mammifères extraordinaires, nés d’une série de métamorphoses oniriques. En représentant une nature en mouvement, l’artiste propose une nouvelle théorie de l’évolution. Au centre de sa démarche, une seule et même question : et si pour survivre les espèces animales mutaient entre elles, alliant leurs caractéristiques physiques ?

Le Monarque

C’est donc dans l’atelier de Corine que la magie opère. Là, elle bouscule l’imaginaire collectif et les représentations zoologiques communes. Au gré de ses coups de pinceaux, les animaux se conjuguent et se confondent jusqu’à donner naissance à de nouveaux spécimens. Ici, l’hybride constitue une norme, le composite se révèle réaliste et le fantastique frôle le possible. Bienvenue dans un monde chimérique ou Darwin rencontre Tim Burton !

Pourquoi avoir choisi d’utiliser la peinture à l’huile ?

Corine : La peinture à l’huile est un média que j’affectionne tout particulièrement. Je m’en sers exclusivement pour réaliser chacune de mes toiles. Je pense que ce côté old-school me vient de ma formation aux Beaux-Arts puis, par la suite, de mes expériences professionnelles, notamment mes années en tant que restauratrice de tableaux. Au quotidien, j’utilise la technique flamande qui consiste en la superposition de couches transparentes très fines de peintures et de vernis. Cela me permet d’obtenir des couleurs très vibrantes et une luminosité unique, impossible à égaler si on travaille en opacité. C’est évidemment beaucoup plus long, en particulier à cause des temps de séchage entre chaque couche. C’est pour cela que je suis toujours sur cinq ou six tableaux en même temps.

À quel moment as-tu eu ton déclic créatif ? Autrement dit, à quel moment tu t’es dit que tu souhaitais faire de ta passion un métier ?

Corine : C’est une nature, une évidence, quelque chose qu’on a en soi depuis toujours : on aime bien bricoler, on aime bien fabriquer des choses de ses propres mains, on dessine partout et dès l’enfance, on se rend compte que l’on est pas fait pour un système scolaire classique. Par la suite, on prend plusieurs chemins, on teste différents parcours et on finit par se rendre compte que l’on ne s’épanouit que dans une sphère artistique. Et encore là, même dans une sphère artistique, si la liberté n’est pas totale, la satisfaction n’est pas toujours au rendez-vous. Quand je faisais uniquement de la restauration de tableaux par exemple je cultivais une certaine frustration. J’agissais sur les œuvres des autres, ma principale mission étant de produire un travail invisible et réversible. Moins les retouches se voyaient, plus on me remerciait. Au bout de quelques années, je me suis rendu compte que la seule façon d’obtenir cette liberté était de me lancer en tant qu’artiste à part entière.

Pourquoi avoir choisi de mettre en scène des animaux ?

Corine : Je me rappelle que quand j’étais petite, je rêvais d’être vétérinaire. Cela vient certainement du fait que j’ai toujours cultivé un lien très spécial avec le monde animal, même si je n’en ai jamais eu. Encore aujourd’hui, je ne me vois pas avoir un animal à Paris. Je trouve ça triste de voir les chiens et les chats en appartement, enfermés, sans grande possibilité de se déplacer. En ce qui concerne mon travail, on retrouve, depuis le début, cette présence du règne animal. Peindre des animaux, c’est sans doute le moyen le plus simple que j’ai trouvé pour m’entourer de ces bêtes qui m’ont toujours fascinée. Quand je regarde autour de moi, je me rends compte que je suis bien entourée entre les lapins ailés et les chiens aux bois de cerfs.

Avant de peindre, comment est-ce que tu choisis les combinaisons d’animaux et comment fais-tu en sorte qu’elles fonctionnent ?

Corine : On ne dirait pas comme ça, mais avant de peindre, je ne dessine pas. Quand je m’attaque à une toile, je suis l’idée que j’ai en tête et je peins directement, sans trop me poser de questions. Je pars souvent d’un seul animal que j’ai envie de dessiner sur le moment. Si j’ai envie de dessiner un tigre par exemple, je vais me poser et faire des recherches documentaires pour essayer de voir avec quel autre animal je pourrais le mélanger. Je consulte mes livres de collection et je pars à la recherche de liens logiques, qu’il s’agisse de couleurs, de caractéristiques physiques ou de vibrations communes. Dès que je trouve l’idée harmonieuse, je me lance dans l’assemblage. Pour autant, même si je suis sûre de la direction vers laquelle je m’oriente, je ne sais jamais quel sera le résultat final. Il y a toujours des changements en cours de route. À chaque fois que je commence une toile, je pars littéralement pour une nouvelle aventure.

Est-ce que tu peux nous parler du message global qui se cache derrière tes toiles ?

Corine : Mon travail ne repose pas seulement sur une certaine esthétique, il faut voir au-delà des images et partir en quête de sens. Derrière ces créatures hybrides se cache un signal d’alarme, un cri du cœur. Peindre des animaux imaginaires, c’est ma façon de dénoncer les actions de l’Homme qui, de par son mode de vie et ses habitudes, est responsable, chaque année, de la disparition de dizaines d’espèces naturelles. Dans mon monde, les animaux sont obligés de se transformer et de muter afin de survivre dans un écosystème en constante évolution : pollution, réchauffement climatique, déforestation… C’est une optique assez Darwinienne, où seul celui qui s’adapte perdure. Tels les dinosaures qui ont progressivement développé des plumes, mes félins s’envolent et mes biches arborent des têtes d’oiseaux. Le bizarre l’emporte sur la menace.

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Est-ce que tu es consciente que ton travail peut surprendre et dérouter celui ou celle qui s’y intéresse ?

Corine : Mon travail consiste à fusionner des espèces entre elles. J’emprunte des parties du corps à un animal pour les greffer sur un autre. Parfois même, je joue avec l’anthropomorphisme en fusionnant espèce humaine et monde animal pour un résultat toujours plus loin de la réalité. Je suis consciente que ces personnages hybrides issus de croisements parfois singuliers peuvent perturber les gens. Je propose une réalité parallèle sans repères où les codes de la nature ont changé. Avec le temps, je trouve ça tout à fait normal de dessiner des chats avec des plumes. D’ailleurs j’essaye de faire en sorte que le résultat soit le plus naturel possible, qu’on se dise que tout va bien au premier abord puis que l’on se pose des questions par la suite.

Ton processus créatif est à la fois spontané et évolutif. Est-ce que la peinture à l’huile te permet de répondre à cette exigence de flexibilité ?

Corine : Tout dépend du support. Par exemple, quand je peins sur des panneaux de bois, je n’ai pas le droit à l’erreur. En effet, les couches de peintures sont tellement fines qu’elles restent visibles quoi qu’il arrive. Par contre, quand je peins sur de la toile, je peux plus facilement changer d’avis. Si c’est le cas, je recouvre une partie de la toile avec du blanc et je recommence. Pour garder un oeil sur tout le processus, je prends énormément de photos. Cela me permet de voir l’évolution après chaque phase de travail et d’éventuellement revenir en arrière si le résultat ne me convient pas. La photographie me permet de prendre instantanément du recul sur le travail, c’est un outil que je considère structurant.

“Quelques fois, il y a des œuvres que je laisse de côté et que je ressort un ou deux ans après parce que l’inspiration frappe à ma porte”.

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans l’acte de création ?

Corine : Comme beaucoup d’artistes, je pense que ce qui me plaît le plus c’est le début de chaque projet. J’adore me retrouver devant une toile blanche, prendre une grande inspiration et rompre l’équilibre qui est face à moi. Tout est libre, rien n’a encore été décidé, tout est possible. À ce moment précis, le vide est jubilatoire, c’est l’apnée vers l’inconnu. Donner le premier coup de pinceau, c’est prendre des risques. Au contraire, la finalisation d’une œuvre s’avère souvent laborieuse. Il faut prêter attention à chaque détail, donner du relief, procéder aux finitions. Achever une toile, c’est faire appel à sa technique, non à sa folie créative. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai toujours une trentaine de toiles vierges en stock, de toutes les tailles. Je peux commencer un nouveau projet quand j’en ai envie, sans me poser la question du matériel. J’ai d’ailleurs souvent une toile blanche dans mon champs de vision, posée sur un chevalet. En la voyant, je sais qu’une nouvelle histoire m’attend.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Corine : J’ai un peu fait le tour du monde ces deux dernières années en exposant à l’étranger alors j’aimerais beaucoup pouvoir exposer ici et montrer mes toiles au public français. En attendant, je continue à peindre de nouvelles toiles, jour après jour.

Avant que les toiles s’en aillent rencontrer le public, nous profitons de ce tête-à-tête intimiste pour s’approcher de plus près des créatures de Corine. Pendant que les plus féroces rugissent, les plus délicats miaulent et les plus étonnés chantent. Pas de doute, les animaux sont vivants. Entre eau, terre, feu et air, les créatures déambulent dans des territoires de toile ou de bois où la nature est expérimentale.

À la fois hypnotisés et intrigués, nous détournons le regard pour jeter un oeil par la fenêtre de l’atelier. Puis nous nous arrêtons un instant pour penser. Si l’Homme a maladroitement réussi à transformer le monde à son image, cet équilibre n’en reste que très instable. Et si, comme le montrent les tableaux de Corine, nous étions nous aussi voués à évoluer drastiquement ? Et si l’anthropomorphisme était l’avenir de l’Homme ?

Des sifflements d’oiseaux nous sortent du rêve. L’avenir attendra.

Découvrir l’univers de Corine : Site InternetInstagram