Nous avons rendez-vous avec Julien Calot entre Bastille et Voltaire, au cœur du tumulte parisien. Ce touche-à-tout créatif nous attend dans son atelier aux allures de loft. Une verticalité à couper le souffle, des tableaux immenses, des tissus cap-verdiens bariolés. Entre œuvres achevées et toiles neuves, le rideau se lève.
Julien exerce dans le domaine de la publicité, en tant que directeur de création dans une agence de communication. Un métier qui occupe la plupart de ses journées, à un rythme plutôt effréné. Cette hyperactivité, Julien la canalise et la met au service de sa pratique artistique fétiche : la peinture.
Julien : La peinture est quelque chose qui a toujours grandi en moi, depuis tout petit. J’ai eu un déclic il y a une dizaine d’années après une rencontre avec un artiste et ami à moi, qui m’a poussé à acheter ma première toile vierge. Il m’a appris à me décomplexer des grands formats en partant tout de suite sur de très grandes toiles. Mon style a évolué en suivant mes différentes inspirations : le monde de l’entreprise, l’actualité, la mode, les voyages et surtout les rencontres.
Origines graphiques
L’univers de Julien est un pot-pourri d’influences. Une véritable caverne d’Ali Baba où se mêlent madeleines de Proust et symboles affectifs. Grâce à une éducation artistique qui commence très tôt et une approche très contemplative de l’Art, Julien se forge un style et construit sa propre démarche créative.
Julien : J’ai pioché dans tout ce que j’aimais, accumulé les éléments qui me parlaient et je les ai ensuite mêlés avec des choses plus personnelles. On retrouve dans mon travail des influences diverses telles que Fernand Léger, Picasso, Delaunay, Basquiat, Keith Haring… Je m’inspire aussi beaucoup du street art, de la culture de rue ainsi que de l’art brut et de l’art primitif. Je suis en permanence à la recherche de nouveaux mondes colorés.
Chaque toile en appelle une autre, de manière presque instinctive, via une accumulation de petits accidents. On assiste parfois à une réaction en chaîne poétiquement maladroite qui ouvre le champ des possibles. De jolies histoires comme dans les contes pour enfants, où le fond coexiste avec la forme.
Julien : On vit dans un monde très conceptuel, mais je n’aime pas que l’art le soit. J’ai une volonté presque politique de faire de la poésie. Je recherche aussi ce côté visuel et esthétique qui pour moi est inhérent à l’Art. On voit beaucoup d’œuvres contemporaines ou conceptuelles qui ne sont pas décoratives. Personnellement, j’aime la dimension ornementale de l’Art.
Ainsi va la vie : de l’abondance à la composition
Chaque tableau de Julien correspond à une histoire vivante, un flot de détails abondants, qui appelle à une sorte de voyage onirique. Fasciné par la vie, les gens et le mouvement de la ville, le peintre se nourrit du balai qui se dégage des flux d’interactions. Les héros se croisent dans une atmosphère presque cartographique.
Julien : Ça me plait de faire douter le spectateur sur ce qu’il voit, qu’il se questionne sur la perspective. J’aime bien quand on ne sait pas trop où se situer, quand il y a une sorte de confusion des points de vue : on peut être face à une scène très intimiste et en même temps avoir une vision globale, un peu méditative, de l’ensemble des flux d’énergie.
Plus le temps passe et plus nous avons l’impression que nous pourrions passer des heures à contempler les toiles de l’artiste. L’accumulation de détails est presque suffocante, et cela semble être un parti pris. Ni espaces vides ni respirations. Tous les éléments s’entrecoupent, se chevauchent, comme un entrelacs de matière et de corps. Nous faisons face à une omniprésence du mouvement et de l’interaction comme s’il n’y avait pas de solitude possible.
Julien : En termes d’équilibre graphique, je vois mon travail comme des mathématiques. Je tiens ça de ma formation scientifique. Pour moi, quand on commence un tableau, on casse un équilibre graphique qui est celui de la page blanche. Tout le travail qui suit le premier trait posé sur la toile, va être de recréer une forme d’équilibre. Chaque trait appelle un autre trait qui déclenche une espèce d’incohérence mathématique. Une toile est donc achevée, quand le système fonctionne au niveau de la balance des énergies, quand je me sens apaisé en regardant le tableau.
Si les détails sont abondants, les couleurs ne sont pas en reste. Dès les premières secondes, les yeux sont charmés par l’éventail de teintes utilisées. En effet, l’artiste a développé une appétence pour les univers bariolés, vifs et tranchés. Les toiles palpitent.
Julien : Pour moi, la couleur correspond à l’optimisme, la vie, l’énergie. Je trouve qu’on vit dans un monde très terne, très gris. Quand on voyage, on voit qu’il y a beaucoup de pays qui sont désaturés au niveau de leurs univers coloriels. Finalement, la seule façon de jouer librement avec les teintes et les vibrations, c’est la peinture. Pour moi une œuvre doit être une sorte de soleil et la juxtaposition des couleurs permet de générer une sorte d’aura lumineuse.
La folie des grandeurs
Les grands formats : un défi, une source d’inspiration ou un besoin ?
Selon Julien, les trois réponses se côtoient et sont indissociables.
Julien : Plus c’est grand plus c’est cool. J’ai toujours envie de plus grand, de dépasser les limites. En plus de l’aspect impressionnant de la chose, il y a une certaine puissance qui se dégage. Il y a un côté magique à s’attaquer à une grande toile, c’est un challenge. Une fois installé devant cette étendue immaculée, il n’existe presque plus d’obstacles, on est comme englobé. Le grand format permet aussi de travailler des matières, d’explorer des mouvements, de développer une gestuelle. Il y a une dimension qui relève presque du tai chi où moments de contrôle et instants de relâchement s’enchaînent autour d’une circulation des énergies.
Derrière les couleurs flamboyantes, les scènes sont excessives, chargées en émotions. Elles transpirent parfois la mélancolie, le spleen, l’ardeur ou la joie. Les teintes servent de haut-parleur et véhiculent des sensations palpables, provoquant ainsi un branle-bas de combat intérieur. Si le style pictural choisi se rapproche de l’abstraction, les émotions, elles, sont pour le moins réelles.
Julien : Pour moi la peinture c’est ressentir des émotions. J’aime quand les gens sont touchés et qu’ils éprouvent les mêmes sentiments que ceux que je développe en créant mes œuvres. Il y a une forme de générosité liée à la peinture qui se résume à un don de soi. J’aime me dire que mes tableaux prennent vie chez des gens, qu’ils évoluent et brillent ailleurs.
Quand on évoque le cheminement créatif de Julien, on comprend qu’il est à l’image de ses toiles : la spontanéité prend le pas sur la préparation et la nécessité de structure.
Julien : Je ne prépare pas physiquement mes tableaux, je ne pars pas d’un croquis ou d’une esquisse. Pour autant, la toile est terminée dans ma tête avant que je ne commence à la peindre. Je suis convaincu que c’est un peu pareil en littérature, je pense que le livre est fini quand l’auteur possède la fin en tête, même sans l’avoir rédigée. Par exemple, pour ma dernière toile, j’ai déjà une idée du rendu global. Bien entendu, je laisse de la place pour les accidents et les surprises graphiques qui peuvent s’épanouir, sans jamais repasser sur un trait.
Avant de repartir, nous ne pouvons nous empêcher de jeter une dernière fois un œil à cette énorme toile encore vierge qui trône sur la mezzanine. Occupant tout un pan de mur, elle impressionne de par son envergure. Nous laissons ici un univers où tout est encore possible, un symbole d’espoir et de renouveau.
Découvrir l’univers de Julien : Instagram