Aujourd’hui nous avons rendez-vous avec la poésie. C’est au cœur du dixième arrondissement de Paris que nous allons rencontrer Aksel Varichon. D’origine franco-suédoise, cet artiste est la définition même de la pluralité créative. C’est d’ailleurs ce qu’il va nous prouver tout au long de cette rencontre.
Un atelier aux allures de galerie d’art contemporain, une délicate odeur de café, quelques toiles vierges : le décor est planté. Nous sommes dans le théâtre d’Aksel, là où le sens du mot “créativité” prend vie, là où la matière s’exprime, prête à imploser.
Freelance, Aksel réalise au quotidien les supports de communication des grands noms de la musique et du cinéma français. Au-delà de cette carrière professionnelle, c’est la part de liberté qu’il a découvert à Penninghen, pendant ses études, qui le fait encore vibrer : créer spontanément, avec fluidité, des images et des métaphores; être un artiste.
Un retour aux sources
Aksel est un hyperactif créatif. Quand il ne crée pas pour les autres, ce touche-à-tout compulsif s’attèle à sa passion : la peinture. C’est à l’aide de ses pinceaux, loin des travers du métier de graphiste où le client est roi et l’artiste exécutant, qu’il développe son univers.
Aksel : Après quinze ans de métier en tant que freelance graphiste, illustrateur et typographe, je pense avoir fait un peu le tour de la question. Plus les jours passent et plus j’ai du mal avec les commandes, les producteurs, les labels et même parfois les artistes. Je préfère ralentir le rythme avant d’atteindre un trop gros niveau de saturation. En mettant ces activités de côté, cela me permet de retourner aux origines de ma pratique que sont le dessin, la peinture et la photographie. C’est ma façon à moi de m’exprimer, de dévoiler quelque chose de personnel, sans avoir quelqu’un derrière moi qui me répète en boucle “je n’aime pas le bleu, je n’aime pas le rouge”.
Est-ce qu’on peut dire que ce manque d’épanouissement personnel est également lié à un phénomène de fonds touchant l’ensemble du secteur de la création ?
Aksel : Je pense que les gens ont globalement peur. On évolue dans un univers où les projets se font sans prendre de risques. On est dans une mécanique de reproduction de la tendance où le déjà-vu prend le dessus sur l’inspiration. C’est un trait caractéristique qui revient de projet en projet. Les gens veulent un résultat qui fonctionne tout de suite, qui s’inscrit dans une habitude de consommation, qui ne surprend que parce qu’il correspond à une dynamique appréciative générale. On assiste à une ère du copié-collé où le danger n’existe plus. Si cela a plu une fois, reproduisons-le. Le créatif, lui, subit les désirs du client et en vient à perdre son expertise et sa valeur ajoutée.
Tu as réalisé ta première toile à l’âge de 14 ans. Est-ce que déjà, si jeune, tu percevais cette envie de faire de l’Art une vocation ?
Aksel : Depuis tout petit, j’ai toujours voulu être artiste peintre. Ce n’est que maintenant, à l’âge de 44 ans que j’ai l’impression d’enfin toucher ce rêve du doigt. Ma première toile était complètement loufoque. Au premier plan, on pouvait apercevoir un personnage avec plusieurs bras et derrière, une explosion atomique. J’ai un regard très critique sur mon travail. Par exemple, j’ai dû détruire près de cinquante pourcents de ma production. Je pense que ça fait partie du cheminement, que ça permet de se perfectionner, toile après toile. Mais même encore aujourd’hui, quand je réalise un tableau je me bats contre moi-même. Quand la toile est terminée, je l’adore et au bout de quelques mois je la détruit. C’est un processus récurrent. Si je ne peux pas défendre mon travail, personne ne pourra le faire à ma place.
A quelle fréquence est-ce que tu crées ?
Aksel : Je crée de façon quasi quotidienne. Je suis tout le temps en train de dessiner, de penser à mon prochain tableau. Pour la première fois, je suis allé dans un atelier de lithographie pour m’essayer à un nouveau support et après avoir passé trois semaines à dessiner sur de la pierre, je vais enfin voir le résultat de mon travail. Je pars du principe qu’explorer de nouvelles pistes créatives est un devoir et que tant qu’on est vivant on peut apprendre. Ça me rappelle un prof de Penninghen qui était âgé de 75 ans. En arrivant à 8 heures du matin pour son cours de dessin académique, sa première habitude était de nous hurler dessus que nous dessinions comme des vieux. J’ai appris beaucoup de choses sur le sens de la vie grâce à ce personnage.
Un cri du cœur
L’univers d’Aksel se compose bien souvent de deux types d’éléments se faisant face dans une composition fractionnée entre ombre et lumière. D’un côté, un environnement urbain brut et terne, de l’autre des animaux sauvages colorés et vibrants.
Aksel : Je représente souvent des éléments du monde animal ou végétal au milieu d’une architecture urbaine assez complexe. L’idée associée à cette démarche est que le monde humain tel que nous le connaissons aujourd’hui est en perdition et se dirige vers sa propre fin. Je dépeins le monde que nous allons laisser derrière nous, celui que nous allons inévitablement léguer à la nature qui, elle, reprendra ses droits. C’est pour cette raison que les animaux sont souvent seuls et surdimensionnés, comme pris au piège de la ville. Si l’on aperçoit des êtres humains, il s’agit soit de sculptures, soit de panneaux publicitaires. La vie au sens organique du terme est ainsi symbolisée uniquement par les animaux, représentant à eux seuls, la force incommensurable de la nature.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Aksel ne dépeint pas une apocalypse mortelle pour l’ensemble de l’écosystème, mais bel et bien un avenir comblé d’espoir. Ainsi, les œuvres de l’artiste mettent en scène une utopie végétale et animale sans hommes ni femmes, sans industrie ni déchets, sans enjeux économiques ni règles arbitraires. Dans ce pamphlet écologiste, la beauté est une cercle vertueux qui repose sur les cycles naturels de la vie, sans mécanismes répressifs de contrôle.
Aksel : La terre n’a certainement pas besoin de nous, elle se portera d’ailleurs mieux lorsque nous aurons tous disparu. Quand on regarde notre comportement au quotidien, on se rend compte qu’il a atteint une certaine limite. Il suffit de voir le nombre d’espèces animales qui s’éteignent chaque année à cause de l’impact de l’Homme sur son environnement. J’en viens même parfois à me demander si l’on a fait quelque chose de bien pour la planète un jour. On produit des quantités astronomiques de biens, sans penser à leur impact sur ce qui nous entoure, sans se soucier des éventuelles conséquences. Certains objets de grande consommations représentent un véritable danger une fois jetés dans la nature. Prenons par exemple le cas des filets de pêche ou des sacs plastiques qui font de nombreuses victimes en pleine mer. L’Homme est un ennemi pour son propre milieu. Selon moi, l’espoir existe et repose sur une réappropriation de la planète par la nature.
“Tout est lié. Le monde animal et végétal sont fait pour vivre en parfaite harmonie. Lorsque l’homme intervient, de manière directe ou indirecte, il met à mal cet équilibre.”
Comment est-ce que tu assures la transmission de ton message ?
Aksel : Je propose une explication générale de mes tableaux. J’essaye de ne pas trop rentrer dans les détails pour que chacun puisse interpréter librement mes œuvres. Quand je suis dans un musée ou une galerie, je n’aime pas trop qu’on me donne une explication toute faite pour chaque toile. Je préfère regarder un tableau, ressentir ce qu’il renvoie et en tirer mes propres conclusions au regard de l’histoire de l’artiste. Ça me gêne qu’on m’explique une façon de voir l’œuvre, comme une seule vérité possible. Je suis un peu cette démarche en essayant d’instaurer une sorte d’interaction entre le spectateur et moi. Je ne veux pas que le public soit inutile, je souhaite qu’il trouve une place face aux œuvres, qu’il ait un rôle dans cette quête de sens.
Processus de cré’action
Quelle forme prend ton processus de création ?
Aksel : Quand je crée, tout se passe dans ma tête, c’est un cheminement très long. Je réfléchis, j’observe, je médite puis je remâche l’ensemble jusqu’à ce que mon idée de départ fasse sens. Cette étape de réflexion peut prendre plusieurs mois en fonction du projet. Quand toutes les pièces du puzzle sont réunies, alors je me lance dans la réalisation technique en sachant exactement où je vais. Quand je pose mon pinceau sur la toile, je n’ai plus besoin de réfléchir. L’étape de production est ainsi beaucoup plus rapide et spontanée: je passe rarement plus de trois à quatre jours sur un tableau.
Aksel travaille depuis plusieurs années sur un projet de longue haleine : parfaire une série de dessins réalisée lors de ses études à Penninghen pour lui donner un nouvel élan et la moderniser. En ajoutant des symboles contemporains et de nouveaux motifs, Aksel fait renaître de ses cendres un ensemble de croquis issus de son parcours académique. C’est ainsi la continuité d’un cycle, un second souffle artistique, plus personnel et engagé.
Aksel : Je pars de dessin originaux que j’ai réalisé il y a un peu plus de 20 ans à Penninghen et je rajoute directement des éléments dans la composition. Parmi ces dessins, certains ont déjà subi plusieurs transformations. Mon passé me sert de base à ma réflexion artistique actuelle. Cela me permet de ressusciter mes anciennes œuvres et d’en proposer une nouvelle lecture. C’est l’alliance d’une fraîcheur évanouie et d’une nouvelle maturité qui fait que ces tableaux gagnent en complexité.
Quel est ton usage des couleurs ?
Aksel : J’utilise beaucoup de rouge dans mes tableaux. C’est la symbolique de cette couleur qui me plait. On peut y voir une certaine forme d’agressivité ou de violence mais également visualiser de la fougue ou de la passion. C’est une couleur que j’apprécie tout particulièrement parce qu’elle véhicule des émotions.
Quels sont tes projets pour la suite ?
Aksel : Je vais faire une grande exposition à la Cartonnerie le 9, 10 et 11 novembre prochain (vernissage le 9 novembre de 18h à 23h, 12 rue Deguerry, Paris 11e). Cet événement me tient à cœur car c’est l’aboutissement de beaucoup d’années de travail. C’est également la matérialisation de mon passage de créatif à artiste : un passage de flambeau assumé. Cela va me permettre de confronter mes œuvres au public et de pouvoir échanger de vive voix avec des visiteurs curieux, issus de nombreux horizons. C’est un défi excitant, j’ai très hâte !
Touchés par la démarche d’Aksel, nous quittons ce zoo à ciel ouvert où les animaux, libérés de leurs chaînes, se promènent en liberté. Le message est fort, les dessins sont beaux. C’est une combinaison émouvante qui dépose une plume au goût amer dans la bouche mais grave sur la peau un pressentiment fantasmé, une intuition optimiste.
Découvrir l’univers d’Aksel : Site Internet – Instagram