C’est à deux pas du quai de Valmy, dans le 10ème arrondissement que nous avons rendez-vous avec Helena Pallarés. Bien qu’il fasse beau et que la chaleur estivale nous invite à nous promener dans ce quartier culturellement riche, nous n’avons qu’une seule idée en tête : découvrir la bulle créative d’Helena. Intrigués par ses portraits aussi envoûtants que décalés, nous mettons de côté les rayons du soleil pour découvrir son univers doux, frais et acidulé.
Après avoir fait des études de graphisme puis les Beaux Arts dans son pays natal, l’Espagne, Helena a décidé de s’installer à Paris il y a environ trois ans. Bercée à la musique française depuis son plus jeune âge, cette artiste est amoureuse de la Ville Lumière et de ses secrets. La capitale l’enivre et l’inspire au quotidien. Dans son cocon parisien, Helena dessine, découpe, puis assemble des morceaux de papier grâce auxquels elle crée des tableaux tantôt poétiques, tantôt figuratifs.
Depuis 2014, Helena travaille ainsi comme illustratrice freelance. Jour après jour, l’artiste oscille entre projets personnels et projets en collaboration avec des agences situées en Allemagne et au Canada.
Premiers coups de ciseaux
À quel moment as-tu eu un déclic créatif ? Quand as-tu eu pleinement conscience que tu voulais suivre une vocation d’artiste ?
Helena : J’ai eu besoin de beaucoup de temps pour m’affirmer en tant qu’artiste. Quand j’ai eu mon diplôme de graphisme, je me suis rendu compte que ce n’était pas la voie que je souhaitais poursuivre. Je n’aspirais qu’à une seule chose : consacrer ma vie à l’Art, sans pour autant avoir d’idée concrète sur mon avenir professionnel. J’ai donc poursuivi vers un master pour être professeur aux Beaux Arts et là encore, malgré mon intérêt, je n’étais pas pleinement à ma place. Puis au fur et à mesure de mes rencontres avec des illustrateurs et illustratrices, j’ai commencé à envisager l’illustration comme un métier à part entière, une vraie option de vie. J’ai cessé d’avoir un travail alimentaire en parallèle de mon métier d’illustratrice il y a environ un an. Jusque-là, c’était un métier additionnel. Plus le temps passe, plus l’illustration prend de la place dans ma vie et devient un métier à temps plein.
Si le collage est désormais la marque de fabrique d’Helena, cette relation avec la discipline n’a pas toujours été aussi affirmée. D’ailleurs, la jeune femme ne sait pas trop comment l’étincelle est née, d’où lui vient ce lien presque fusionnel avec le papier, cette envie de créer des scènes à partir d’éléments indépendants. Instinct créatif, coup de foudre ou magie, toutes les hypothèses sont envisageables.
Helena : J’ai découvert le collage au cours de mes études de graphisme. À l’époque, on s’intéressait à tout ce qui était en rapport avec l’art de la composition, notamment via le suprématisme et l’étude d’affiches publicitaires. Plus tard, aux Beaux Arts, j’ai commencé à introduire la technique du collage dans mes projets. Au début, je mélangeais peinture et collage dans une démarche très spontanée. En ce qui concerne ma pratique actuelle, je me pose toujours la question de l’élément déclencheur. J’arrive à identifier certaines étapes du cheminement, mais je ne sais toujours pas si j’ai choisi le collage ou si c’est le collage qui m’a choisi.
La vie en rose
Helena rencontre son copain en Espagne. Ensemble, ils se lancent le pari fou de s’installer dans la capitale de l’amour. Pour la jeune femme, ce choix est une évidence. Paris représente un idéal de vie, une sphère culturelle aux infinies possibilités.
Helena : J’ai toujours rêvé de pouvoir m’installer à Paris. J’avais déjà visité la ville plusieurs fois auparavant, mais jamais sur le long terme. Quand cette opportunité s’est présentée, je n’ai pas hésité une seule seconde. Pour moi, c’était impossible de pouvoir y vivre, c’était comme un rêve qui se réalisait. On peut dire que je suis amoureuse de Paris. Tout m’inspire ici : les gens que je rencontre, les lieux que je découvre; j’ai l’impression que j’ai toujours appartenue à cet endroit. Et en termes de créativité, c’est une ville très riche. En seulement trois ans, j’ai rencontré de nombreuses personnes liées à la culture et à l’Art; cela ne cesse d’influencer mes raisonnements et mon travail.
L’univers de l’artiste est à l’image du collage : modulable. Inspirée par des courants artistiques proches de l’absurde, Helena a longtemps réalisé des collages conceptuels où rêve et folie s’entremêlaient. Aujourd’hui, ces univers fantastiques et imaginaires laissent progressivement place à une nouvelle ère dans le cheminement artistique de la jeune femme.
Helena : Je suis en pleine transition créative. Quand j’ai commencé, j’étais très intéressée par le surréalisme, le dadaïsme et le constructivisme. Tout simplement parce qu’il y a ce lien avec l’inconscient, la psychologie et le rêve qui est omniprésent. On y retrouve également deux de mes sujets de prédilection que sont l’enfance et le passage du temps. Aujourd’hui, je tends vers des concepts et des idées différentes. J’ai envie de redéfinir mon univers autour de personnages ou de figures emblématiques, qui m’inspirent d’un point de vue historique ou culturel. Je réalise ainsi des portraits de ces personnes qui m’ont influencé au cours de ma vie.
Helena réalise ainsi des portraits de personnalités françaises célèbres. Sans le vouloir, ce sont elles qui lui ont donné envie d’apprendre la langue et de partir à la découverte de l’Hexagone. Ses portraits sont une façon de leur rendre hommage, de célébrer leurs valeurs, de continuer à faire vivre les souvenirs d’une génération. Car loin d’être des fantômes du passé, ces personnages sont de véritables muses pour l’artiste, une source d’inspiration quotidienne, qu’elle garde auprès d’elle comme un ensemble de reliques.
Helena : En ce qui concerne les portraits, je prends mon temps pour constituer une collection complète. J’envisage une exposition ou peut-être un livre pour les présenter au grand public. C’est la première fois que je me lance dans un projet aussi conséquent. C’est un défi aussi bien artistique que personnel. J’ai envie de voir jusqu’où je peux aller, jusqu’où je peux repousser mes limites.
Je découpe donc je suis
Comment est-ce que tu procèdes en termes de techniques et d’organisation pour réaliser tes collages ?
Helena : En fonction des projets, je travaille soit à la main, soit avec des outils numériques. Bien souvent, quand le délai est assez court, notamment quand je travaille pour un magazine ou un journal, j’ai tendance à utiliser l’ordinateur. Cela me permet de faire des retouches plus simplement, d’allier rapidité d’exécution, qualité et flexibilité. Quand je travaille pour des projets personnels, je travaille exclusivement de façon manuelle. Pour cela, je pars d’une matière première assez simple : le papier. Quand je trouve mon bonheur parmi les différentes couleurs, textures et variations de grammage, je me lance. Quand je travaille sur des collages conceptuels, je me sers également de magazines, en espérant trouver une iconographie inspirante.
Helena trouve l’inspiration dans de vieux magazines chinés çà et là, au détour d’une brocante ou au hasard d’un vide-grenier. Son péché mignon ? Les vieux magazines des années 1950-60. Dans ce monde parallèle rétro, elle affectionne tout particulièrement l’esthétique des photos, les couleurs singulières et l’iconographie féminine. Plus que le charme d’une époque, c’est la rencontre avec une différente conception du style et de la beauté qui la fascine.
Helena : Pour les portraits, j’utilise principalement des parties du corps pour réaliser mes collages. Je parcours les magazines à la recherche de morceaux de visages, de bouches, de regards, de membres en tout genre. Pour les collages conceptuels, je travaille de deux manières différentes. Soit de manière spontanée, à partir des matières premières dont je dispose. Dans ce cas, je me laisse inspirer par les couleurs, les formes et j’essaye de chercher une harmonie. À l’inverse, je travaille parfois avec une idée en tête, avant même d’avoir commencé. Dans ces moments-là, je recherche précisément certains éléments, en espérant les trouver et qu’ils correspondent au projet qui attend dans ma tête.
Ainsi, les pages des magazines représentent d’immenses forêts à travers lesquelles Helena se balade, à la recherche de nouveaux éléments pour ses compositions. Mais à l’image de la nature, les périodiques peuvent s’avérer capricieux. Alors parfois, la promenade est infructueuse et l’artiste revient bredouille de ce feuilletage. C’est pourquoi Helena dessine désormais certains éléments de ses collages, à la main. Ce qu’elle trouvait auparavant dans les magazines est dorénavant remplacé par des illustrations au crayon. C’est cet habile combo entre bribes de papier coloré et jets de dessins qui mènent à un équilibre entre fantaisie et réalisme.
Et lorsque la jeune femme parle de son métier, ce ne sont pas seulement ses yeux qui s’illuminent, mais la pièce toute entière. Helena est d’autant plus passionnée, que sa passion est communicative. Il existe en elle cette flamme créative, ce bouillonnement artistique qui la pousse à constamment imaginer et concevoir de nouvelles histoires.
Helena : Je crée tous les jours. C’est d’autant plus difficile de déconnecter que je travaille chez moi. C’est parfois compliqué à gérer. J’ai du mal à commencer parce que j’ai tendance à procrastiner, mais je m’amuse tellement quand je fais mes collages que quand je commence j’ai du mal à m’arrêter. J’ai toujours l’impression que ce n’est pas suffisant, j’ai en moi cette perpétuelle envie d’avancer, de rapidement atteindre un résultat fini. Du coup, je dois prendre sur moi et me raisonner en me disant “ça suffit, tu vas dormir, on reprendra les collages demain”. C’est assez frustrant, parce que même si je conçois quelques choses de mes mains, à la fin de la journée, j’ai souvent l’impression de ne rien avoir fait.
Comment est-ce que tu sais qu’une composition est terminée ?
Helena : Dans l’ensemble, j’aime bien quand le résultat est assez minimaliste. Je me demande rarement si je dois ajouter des éléments, mais plutôt si je dois en enlever. Je suis satisfaite quand j’atteins une sorte d’équilibre autour du vide. Mon but premier n’est pas le remplissage du support, mais la juste harmonie entre espaces disponibles et espaces occupés. L’abondance et l’accumulation des éléments ont tendance à m’angoisser, c’est la raison pour laquelle je recherche une certaine pureté dans mes collages. Pour les portraits, la démarche est plutôt simple, car je ne vais pas au-delà de l’anatomie humaine. En revanche, pour les collages conceptuels, je m’attache beaucoup à mes émotions et à ce que je ressens naturellement. Quand je me sens bien avec l’oeuvre réalisée, je me dis que le pari est gagné.
Chez Souffle Chaud, notre raisonnement est plutôt similaire. Quand nous nous sentons bien, que le courant passe et que l’univers de l’artiste n’a plus de secrets pour nous, nous savons que l’entretien touche à sa fin. Quand le flambeau passe d’une main à une autre, nous quittons la croisière, éclairés.
Avant de partir, nous saluons une dernière fois du regard les illustres habitants qui peuplent l’atelier d’Helena. À leur tour, ils s’inclinent à travers d’invisibles clins d’oeil. Tous, regagnent leur petite place dans cet espace qui leur est entièrement dédié. Tous, sauf un. Sur un chevalet, dans le fond de la pièce, trône un personnage en cours de réalisation. Sur une énorme feuille de carton, la relève prend forme, la famille continue de s’agrandir.
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