Réflexion en mouvement sur le processus de création
Rencontre avec Flavie Roux Illustration - Interview Souffle Chaud

Flavie Roux : Fragments de femmes et mythologie contemporaine

Après avoir été en Mise à Niveau en Arts Appliqués, puis obtenu un Diplôme des Métiers d’Art en illustration à l’École Estienne de Paris, Flavie continue actuellement son parcours académique aux Beaux-Arts d’Épinal. Son univers affirmé, à la fois complexe et intrigant, s’apparente à la lueur d’un phare, guidant les spectateurs vers un monde à part.
Derrière le rideau, cette assurance naturelle et cette affirmation artistique nous prouvent que le talent n’attend pas le nombre des années.

Une tasse de thé à la main et un rayon de soleil dans le dos, nous partons à la rencontre de cette illustratrice dont l’affection pour la pratique du dessin remonte à l’enfance.

Interview Flavie Roux Mythologie Contemporaine par Souffle Chaud

“ Je dessine depuis toute petite, partout. Les profs arrachaient les pages de mes cahiers car j’inondais les feuilles de silhouettes imaginaires. ”

Mots d’introduction : genèse

Flavie est une touche-à-tout créative. Si son travail s’articule souvent autour de la figure féminine, l’écriture de ses histoires se fait sur de multiples supports. Son style, fusionnant réalisme et symbolisme, s’adapte ainsi à chacune de ses pratiques artistiques.

Flavie : Je me suis spécialisée dans l’illustration, car c’est mon domaine de prédilection, celui que j’affectionne particulièrement. Pendant mon temps libre, c’est ma pratique du dessin que je cultive. Aux Beaux-Arts, j’ai été un peu forcée à explorer d’autres pistes, à expérimenter, à voir les choses sous un angle nouveau, sans forcément avoir de repères. Dès que je le peux, je profite des contraintes et des consignes pour réorienter ma réflexion et toucher du doigt de nouveaux champs d’action : la photo, la vidéo, la broderie… Ça me plait de sortir de l’illustration et d’aller vers l’accessoire, vers des supports qui sont diffusables à une plus grande échelle. Par exemple, pour mon master, je me dis que je tenterais bien l’animation, c’est cette discipline que j’ai envie de creuser.

Où trouves-tu ton inspiration ?

Flavie : Pendant longtemps, je me suis inspirée de Louise Bourgeois et Annette Messager, qui sont pour moi des références artistiques incontournables. Je suis assez admirative de leurs univers et de la façon dont elles ont permis une certaine libération de la parole féminine dans le domaine de l’Art. Actuellement, j’utilise beaucoup Instagram. Je passe d’un compte à un autre, je voyage dans cette galaxie infinie dans laquelle je découvre des illustrateurs tous les jours.

Pourquoi avoir choisi de développer une boutique en ligne par l’intermédiaire de laquelle tu vends tes créations ?

Flavie : J’ai eu l’occasion de faire des petits salons où je mettais certaines de mes créations en avant. Ce genre d’événements m’a permis de percevoir ce que les gens appréciaient dans mon travail. De manière générale, le public que j’ai pu côtoyer se tourne davantage vers des petits objets, des accessoires mignons, des bijoux ou des patchs. Ce ne sont pas les pièces qui véhiculent le plus d’idées ou qui adoptent une posture revendicatrice, mais ça me permet de me faire connaître. J’espère que les gens ne s’arrêtent pas à ce premier point de contact et vont explorer mon univers plus en profondeur par la suite. Avoir une boutique en ligne n’est pas une fin en soi, mais c’est le début d’un processus, un premier pied à l’étrier, un point de départ challengeant.

Psyché-déclic

Les nombreuses facettes artistiques de Flavie et son appétence pour la multiplication de projets simultanés témoignent d’une insatiabilité créative. La jeune femme crée en permanence, quel que soit le contexte, sous peine de s’ennuyer. C’est en s’immergeant dans une dynamique incessante de conception qu’elle parvient à rejoindre une certaine forme de calme intérieur.

Flavie : J’ai une relation un peu boulimique avec le travail. Il faut toujours que j’ai un projet en tête pour pouvoir canaliser mes pensées et mon énergie. Je ne dirais pas que je crée en permanence, mais dès que j’ai des nouvelles idées je les mets en action immédiatement. Quand j’arrive à la fin d’un processus, j’ai besoin de me lancer directement dans un nouveau projet, de prolonger la boucle indéfiniment. J’ai l’impression que ça crée une sorte de cohérence entre mes réalisations. Je me dis que si on étalait mes travaux les uns à côté des autres on identifierait assez rapidement le fil conducteur qui les anime. Au quotidien, j’ai besoin de cette hyperactivité. Je me suis rendu compte que lorsque je n’avais pas d’idée en tête, j’avais tendance à tout remettre en question, mon parcours, mes choix, jusqu’à même discréditer mon propre travail. Finalement c’est un peu comme une protection contre moi-même.

Flavie absorbe les références et les régurgite. La jeune artiste fait un long travail de réflexion où les personnages se réincarnent, changent de destin, se métamorphosent sous l’influence d’une imagination débordante. On retrouve dans ses carnets une combinaison équilibrée de repères centenaires et de clins d’œil plus modernes. On assiste à un clash contemporain entre archéologie symbolique et slogans percutants.

Flavie : J’ai beaucoup de mal à écrire des histoires, à développer une mécanique de narration à partir de rien. Du coup, je me repose sur des éléments concrets existants. Au passage, j’en profite pour m’approprier ces repères en incorporant mon petit grain de sel. Les icônes religieuses ou les allégories mythologiques que je choisis de dépeindre me servent de supports sur lesquels je viens greffer le message que j’ai envie de partager. En ce moment par exemple, je travaille sur la thématique du féminisme. J’ai choisi d’incarner la question grâce au personnage de Salomé, qui, lorsqu’un roi lui promet de réaliser l’impossible par amour, réclame la tête d’un saint sur un plateau d’argent. Une histoire un peu bizarre de prime abord, je l’accorde, dans laquelle la figure féminine peut être perçue comme cruelle et manipulatrice. Mais lorsque l’on creuse le mythe, on se rend compte que la jeune femme a été manipulée par sa propre mère, commettant l’irréparable, aveuglée par ses sentiments filiaux. Je trouve ça intéressant d’avoir une relecture contemporaine de ces histoires qui ont, en quelque sorte, fondé notre société. Mon projet de fin de diplôme reste dans cette lignée : écrire un mythe fictif, au travers duquel je trouverais un moyen d’expliquer pourquoi l’homme a tant de pouvoir sur le corps de la femme. L’Art c’est aussi donner des clés pour tenter d’expliquer des phénomènes et trouver des pistes pour tout bouleverser, provoquer le changement.

Dans le travail de Flavie, la simplicité des traits est un leurre. Derrière l’humilité de la ligne claire, presque candide, se cache une avalanche d’émotions épineuses. Folie, tristesse et inquiétude se mélangent, conférant une âme nouvelle aux dessins. Ce contraste entre rondeur du traité et violence des scènes n’est pourtant pas le fruit du hasard. Pour Flavie, la pratique du dessin est libératrice, voir thérapeutique, car elle permet de coucher sur le papier les idées noires et les revers du quotidien.

Flavie : Quand j’étais en DMA, on a découvert que j’avais la maladie de Crohn. Un choc. Il m’a fallu un an pour réapprendre à vivre plus ou moins normalement avec cette chose en plus. Quand j’y repense ce n’était pas une très bonne année : je m’étais faite larguée, c’était l’année du diplôme, j’allais quitter Paris. Avec un peu de recul, j’en rigole, mais sur le coup c’était assez éprouvant. Du coup, j’avais des phases de frénésie créative au cours desquelles je remplissais des carnets hyper violemment pour me vider la tête. Je dessinais par exemple de nombreuses femmes nues décapitées ou à qui il manquait des membres car ça représentait mon état d’esprit à cet instant T : j’avais l’impression qu’on m’avait mis ce corps étranger en moi, qu’était la maladie, et que je perdais une partie de moi-même inévitablement. J’avais besoin d’extérioriser cette rage et cette tristesse sur le papier. Naturellement, le thème de mon diplôme de DMA a découlé de mon expérience personnelle et m’a permis de traduire les idées complexes que j’avais, en éléments graphiques. J’ai travaillé sur mon processus de réappropriation du corps, du quotidien avec la maladie et de mes aventures avec le personnel soignant, pas toujours à la hauteur en termes d’accompagnement psychologique.

“ Je passe mon temps à dessiner, décliner, à trouver la forme du corps qui correspond à mon idée originelle. Parfois les poses sont fausses, en dehors de toute forme de réalisme, mais l’intention reste puissante car on comprend la condition mentale des personnages, bien souvent torturés. ”

Qu’aperçois-tu dans le télescope ?

Appartenant à la jeune génération, Flavie sait tirer parti des outils digitaux à sa disposition. Armée de son Tumblr et de son compte Instagram, elle tease, dévoile et met en scène ses réalisations.

Flavie : Les réseaux sociaux sont très importants. Je m’en rends compte depuis que je suis à Épinal. Cultiver un réseau physique depuis une petite ville ce n’est pas toujours évident ; contrairement à Paris où tu rencontres toujours les mêmes personnes dans les vernissages ou les événements liés à l’illustration. Du coup, j’ai commencé à prendre en main mes réseaux sociaux, pour montrer que j’existe, même de là où je suis. Ça me permet de suivre l’évolution de mon travail au quotidien et de développer une esthétique et un certain goût pour la mise en scène.

Rencontre avec Flavie Roux, illustratrice par Souffle Chaud, webzine culturel indépendant

Avant de partir, nous ne pouvons nous empêcher de poser cette question clichée, pourtant si révélatrice, souvent associée aux entretiens d’embauche : « Où t’imagines-tu dans quelques années ? ».

Flavie : Dans quelques années, j’espère que je pourrais vivre pleinement de ma passion. Je ne sais pas encore le métier que j’exercerai, mais il sera en lien avec l’illustration. Je me vois mal rester bloquée dans un bureau à longueur de journée. J’ai besoin de bouger, de créer, d’être constamment en mouvement. En parallèle, j’aimerais bien continuer à produire plus de patchs et même faire évoluer ma relation avec le textile. Dans l’idéal, pourquoi pas officiellement lancer une marque de vêtements où les matières premières seraient des pièces de seconde main. Un projet qui ne serait pas orienté consommation mais plutôt recyclage artistique, une seconde vie créative pour des vêtements qui n’attendent que ça. Je pense que ça serait une façon de me rassurer, de lancer un projet dans lequel je ne suis pas directement au premier plan, sans avoir peur que mes dessins ne plaisent pas.

La rencontre touche déjà à sa fin. Flavie nous invite à parcourir ses carnets pour mettre des images sur les mots échangés. Une éclipse visuelle commence. Nous clôturons ainsi en beauté cette entrevue, bercés d’images lunaires.

PS : puisque nous en sommes réellement convaincus, nous tenons à le répéter : le talent n’attend pas le nombre des années.

Découvrir l’univers de Flavie : TumblrInstagramBoutique