Réflexion en mouvement sur le processus de création
Alex & Marine - Tatoueurs de murs - Souffle Chaud

Alex & Marine : Encre noire et magnétisme animal

Nous avons rendez-vous avec Alex et Marine dans un café cosy du deuxième arrondissement de Paris. L’endroit est vivant, ça sent bon le thé venu d’ailleurs, les pâtisseries qui sortent du four et l’énergie du vendredi matin. Un café serré et une part de gâteau fait maison : de quoi commencer l’interview sous les meilleurs auspices. Les lieux sont à l’image du binôme, décontraction et bienveillance sont de mise.

Six ans se sont écoulés depuis leur première fresque et pourtant Alex et Marine respirent la fraîcheur des débuts. Il y a ce fil conducteur qui lie les grands duos, cette complicité palpable qui émane dès les premières secondes. Nous posons nos affaires, nous asseyons, des regards verticaux s’échangent et les deux artistes esquissent un grand sourire : ils portent le même pull. Coïncidence vestimentaire ou télépathie stylistique, personne ne le sait, mais les cœurs rient.

Le temps d’une heure, Alex et Marine nous ouvrent les portes de leur bestiaire, de la première étincelle à leur situation actuelle. Une rétrospective sauvage, un partage d’expérience souriant et sincère pour ces amoureux de la nature.

Deux prénoms, un seul projet

Alex et Marine se rencontrent dans un cadre scolaire, d’abord au lycée, puis se retrouvent au début de leurs études à Penninghen, célèbre école d’arts graphiques. Marine y poursuit un parcours de 5 ans tandis qu’au bout d’un an et demi, Alex décide de se rapprocher de l’Académie Charpentier. À la fin de leurs cursus respectifs, les deux jeunes artistes commencent à travailler dans le studio d’Alex, chacun de leur côté, comme dans un espace de coworking.

Alex : Je voulais être illustrateur, mais je ne savais pas vraiment quoi dessiner. Un jour on a eu l’idée de prendre un de mes dessins et de le reproduire sur un mur, un peu sur le ton de la rigolade, sans se prendre au sérieux. Le soir même, on s’est dit que c’était peut-être un bon concept. Ça tombait plutôt bien parce que c’était la mode des stickers, il y avait un engouement pour la décoration murale, bien que très commune et peu originale à l’époque. Notre valeur ajoutée : offrir des prestations uniques avec un dessin personnalisé en fonction des envies du client. Dans la foulée, j’ai envoyé une photo de notre première réalisation à un ami à moi, et avec un peu de bouche-à-oreille, on a fait une fresque pour les un an de Yelp. C’est comme ça que tout a commencé.

La collaboration entre Alex et Marine est le fruit du hasard, une révélation impulsive, un coup de tête intervenu sans crier gare. Le duo se lance ainsi à la poursuite d’un rêve aux allures de pari sur l’avenir. L’osmose est naturelle, sans contraintes ni obstacles. Le concept, lui, naît aussi naturellement que l’envie de coopérer. Une fulgurance qui témoigne d’une motivation sans faille, un déterminisme qui permettra d’ailleurs aux deux illustrateurs de vite se faire une place dans le milieu des fresques grandeur nature.

Marine : On ne s’est jamais dit qu’on voulait travailler en binôme. Je pense que ça nous aurait contraint à une pratique trop cadrée, peu spontanée. Surtout qu’à l’époque, je travaillais dans une agence de communication où je me sentais plutôt bien. Quand on a commencé à se dire que ce projet était possible, Alex m’a convaincue de tout arrêter pour qu’on se lance pleinement dans l’aventure. Il fallait une implication à 100% pour que ça marche, j’ai donc suivi ses conseils et annoncé ma démission une semaine après.

Une griffe bien affûtée

Alex et Marine sont convaincus que leur projet est viable et cherchent alors à s’affirmer, à éclore, à passer du stade primaire de chenille à l’état accompli de papillon. Cette quête identitaire passe par la recherche d’une pâte, d’une esthétique propre. Les deux artistes mélangent leurs influences et s’attachent à ne garder que les éléments qui répondent à une approbation commune.

Marine : Alex et moi avons un style très différent l’un et l’autre. On a mis environ un an pour se caler au niveau de la création pure, prendre le temps de réfléchir, explorer des pistes créatives afin de se positionner artistiquement, jusqu’à fusionner nos influences et arriver à un compromis graphique. Au début on travaillait par système de calques : une superposition d’idées, de retouches et d’améliorations suggérées. Le but était de ne pas travailler chacun de son côté, mais bel et bien de conjuguer physiquement nos efforts. Aujourd’hui, on travaille main dans la main sur les gros projets mais cela nous arrive de nous répartir les petits sujets. Comme notre style est désormais commun, il n’y a pas de distinction possible entre nos dessins respectifs.

“ On est passionnés : on s’amuse au quotidien à trouver des solutions et à créer de nouvelles histoires. ”

– Alex

L’un des thèmes de prédilection du duo est le monde animal. C’est cet univers qui est à l’origine du projet et c’est celui qui inspire Alex et Marine au quotidien. Pénétrer dans leur sphère, c’est partir pour un safari graphique, un voyage entre plaines et vallées où se promènent en liberté cervidés, primates et autres oiseaux de paradis. Les fresques rugissent, se révèlent tour à tour féroces et indomptables.

Alex : Je crois qu’il y a dans ce choix un côté un peu totem. Un animal peut représenter une attitude, une qualité, une façon d’être. Pour nous, c’est une source d’inspiration constante. Le monde animal nous passionne, je pense qu’on devrait tous y consacrer plus de temps pour en découvrir les mystères. Par exemple, je lisais un article sur les poulpes récemment, et j’étais fasciné par le fait qu’ils possèdent « neuf cerveaux » et trois cœurs. C’est un monde qui dégage une certaine beauté et qui mérite d’être immortalisé.

Actions, réactions

Alex et Marine s’autoproclament tatoueurs de murs. Cette appellation aussi poétique qu’imagée souligne le côté rock du duo et la volonté de s’approprier la discipline du tatouage. Comme pour cette pratique qui laisse une marque indélébile sur l’épiderme, Alex et Marine se plaisent à laisser une empreinte immuable sur les murs. La démarche est semblable à celle de nombreux tatoueurs ne souhaitant pas réaliser de tatouages “prêts à l’emploi”, issus d’une demande trop précise et appuyée par un dessin déjà fait : le duo ne produit que des dessins originaux et uniques.

Marine : Lorsque l’on travaille sur des projets, on nous laisse généralement beaucoup de liberté, tant sur la conception que sur la réalisation. En général, on se nourrit de la vibration des entités qu’il s’agisse de restaurants, de musées, ou de lieux de vie. On s’inspire également de la personnalité du client, de sa vision et de ses goûts pour ensuite proposer un dessin qui s’intègre parfaitement à la scénographie et aux volumes. On nous contacte parce qu’on aime notre travail, notre style et l’éventail de possibilités que l’on propose. Les marques nous font confiance et cela nous stimule.

Alex : Chaque projet est un défi et nous réserve son lot de surprises et de rencontres. Il y a toujours quelque chose de nouveau et au final, travailler avec des contraintes techniques telles que l’agencement de la salle, les matériaux, ou la langue d’échange, ajoute du piment dans la pratique.

Plus la conversation avance, plus l’alchimie interpersonnelle d’Alex et Marine se manifeste. Jeux de mots, allusions, souvenirs, leur complémentarité est évidente et scintille. Les deux artistes nous confirment que leur relation n’a cessé d’évoluer au cours de ces six dernières années, gagnant en force et en maturité, les inspirant de plus en plus. S’aventurer dans un projet artistique à plusieurs relève d’une générosité intérieure et requiert un certain sens commun du sacrifice. Le risque ? Que chacun ait un égo surdimensionné, avec une volonté de prendre le dessus. Alex et Marine semblent s’être trouvés, bercés par une harmonie dont les contours sont flous, surpassant le tête-à-tête professionnel.

Marine : C’est une relation assez particulière : en plus de travailler en binôme à l’atelier, on passe également beaucoup de temps à l’étranger pour nos projets. On a aussi pas mal d’amis en commun donc on se voit souvent le weekend. Ce n’est pas une relation habituelle de collègue à collègue, on ne fait pas que créer ensemble, c’est bien plus que ça. Au final, on est en couple sans l’être, ou alors un couple graphique si on peut dire.

Quand on leur demande ce qu’on peut leur souhaiter pour la suite, Alex et Marine nous répondent que leur seul souhait est de pouvoir continuer à vivre de leur passion. Un entretien inspirant qui se termine sur une note d’espoir et une envie de métamorphose, comme le début d’un nouveau souffle artistique.

Alex : Je trouve qu’on a surtout été très créatifs au début, aujourd’hui on l’est moins. C’est très contextuel, parce qu’on est pris dans une vague, on enchaîne les gros projets et les gens veulent ce qu’ils voient. Pour prendre un peu de recul sur notre pratique artistique, on s’est dit qu’on allait se poser un mois ou deux en 2018, histoire de remettre les compteurs à zéro. C’est une petite pause introspective, on veut faire le bilan de ce qu’on a accompli en 6 ans, garder uniquement le positif et aller de l’avant. On a envie de réfléchir à des concepts différents, peut-être plus osés, moins conventionnels. Dans l’une de nos premières expositions, les visiteurs pouvaient par exemple repartir avec un bout de la fresque. Une sorte d’expérience participative, une performance éphémère et ludique. On a envie de repousser nos limites et d’arpenter de nouveaux sentiers créatifs : pourquoi pas jouer avec des matériaux naturels bruts comme le bois, ou jouer avec les ombres pour créer des fresques différemment. On a aussi pour objectif de passer à la couleur, c’est un grand changement pour nous. Si tout se passe bien, on est reparti pour les 6 années à venir !

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