C’est dans les hauteurs de Paris, non loin du parc des Buttes-Chaumont, que nous avons rendez-vous avec Charlie Cappable. Après un petit détour par l’écrin de verdure avoisinant, nous grimpons dans l’atelier de l’artiste. Le lieu est atypique et hybride, c’est un cocon de couleurs où exercent plusieurs personnalités créatives. Des pinces, des fils de fer, de la terre, un four : le ton est donné, ici on crée, c’est un fait.
Entre les mains de la jeune femme, les matières se mélangent, la céramique, le bois et le plastique dansent en communion. Vaisselles, luminaires, objets de décoration, il y en a pour tous les goûts. C’est la parade des ustensiles dans l’Atelier Cappable, né il y a un peu plus d’un an.
Pourtant, difficile pour nous de donner un nom à la pratique de Charlie tant celui-ci serait réducteur. Nous avons affaire à une touche-à-tout créative, un électron libre, une artiste polymorphe. D’ailleurs, une rumeur court selon laquelle “curiosité” serait son deuxième prénom. L’inscription “chercheur en objets” sur sa carte de visite, donne tout de même un indice sur la profession de Charlie : une quête de la confection d’objets où design, ergonomie et praticité ont chacun une place dans l’aventure.
D’aventures en aventures
Charlie est une allégorie de la liberté et son parcours est à son image : atypique. Elle commence une prépa aux Beaux Arts de Rueil, mais ne va pas au bout de la formation car celle-ci ne lui permet pas de s’épanouir. Ce qui intéresse cette Géo Trouvetou, c’est être au cœur de l’action, mettre les mains dans le cambouis, créer, façonner, donner la vie.
Charlie : J’ai travaillé très tôt. J’ai commencé par faire des décors pour le cinéma ou l’événementiel. Dans cet environnement, j’ai occupé pas mal de postes différents, comme ensemblière, accessoiriste, première assistante déco, et chef déco sur la fin. En dehors de ça, on peut dire que j’ai exercé un nombre incalculable de métiers en tout genre. J’ai entre autres ouvert un bar où tout le mobilier était à vendre et même été djette. À un moment donné, j’ai eu envie de travailler pour moi.
D’où te vient cette envie de créer, est-ce plutôt un besoin ou une envie ?
Charlie : J’ai toujours bricolé. D’ailleurs, ma mère m’appelait “la bricoleuse” quand j’étais petite. L’envie de créer me suis partout, tout le temps. Quand je m’endors, je réfléchis et au réveil, j’ai tout de suite envie de produire de nouvelles choses. C’est un besoin, qui se matérialise de manière assez spontanée. Je pense qu’au cours de sa vie, on fait toujours plus ou moins la même chose, même si cela prend des formes différentes. Je suis convaincue que même dans un métier non-créatif, si l’on est créatif, on peut faire des choses extraordinaires. Personnellement, créer est la seule chose que je sais faire, je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre.
Comment est-ce que chaque nouvelle histoire commence ?
Charlie : Au quotidien, ça part souvent d’un besoin. La question : “Qu’est-ce qui me manque à la maison ?”, est quasi-systématiquement le point de départ de ma réflexion. Dès que j’identifie un potentiel besoin, je fabrique l’objet en question pour combler le manque. Chez-moi, je n’ai rien qui provient d’un magasin de déco, je fabrique tout à la main : les luminaires, les meubles et même mon canapé ont été réalisés par mes soins ! Parfois je prends le problème à l’envers en me demandant “si j’avais besoin de tel objet, comment je le ferais ? Comment je m’amuserais à le détourner ?”. Ça m’aide à faire des objets modulables à double ou triple usage, à créer des objets au design ou aux fonctionnalités insolites.
Si tu devais mettre des mots sur ton style, ton univers, quels seraient-ils ?
Charlie : Je pense que ce qui m’anime et ce qui anime ma pratique est un besoin absolu de liberté. Aujourd’hui, je travaille en majorité la céramique mais demain je ferais peut-être autre chose. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans un carcan qui m’imposerait des limites. Cette liberté me permet de choisir les matériaux que j’ai envie de travailler ainsi que l’identité et l’usage que j’ai envie de donner aux objets que je crée.
Poussière cosmique
Comment expliques-tu ton amour incontestable pour la céramique ?
Charlie : La terre permet de travailler le volume plus facilement que d’autres matières premières. Pour l’instant, je n’utilise pas de tour de potier, je travaille à la plaque. Ce qui m’intéresse dans cette démarche, c’est l’aspect presque architectural du mouvement. Ça me rappelle un peu l’enfance, avec les Lego, Meccano, Kapla et autres jeux de constructions qui font de nous des architectes avant l’heure. Les céramistes disent souvent qu’il y a un rapport très sensuel avec la terre. C’est indéniable, car il s’agit d’une matière première vivante. Mais de mon côté, c’est l’assemblage et la mise en forme qui me parlent. Je construis morceau par morceau plus que je ne façonne. J’utilise également la terre pour créer des pièces qui me permettent d’en assembler d’autres entre elles. Finalement, la céramique m’offre une certaine souplesse créative grâce à laquelle naissent des pièces qu’on ne trouverait pas en quincailleries.
Est-ce que tu te sens plus proche de l’artiste ou de l’artisan ?
Charlie : Je n’ai ni diplôme, ni formation. C’est aussi grâce à ça que je dispose d’une aussi grande liberté. Sans connaissances, tout est possible. J’apprends par l’échec, par l’expérience, en faisant et en recommençant jusqu’à ce que ça fonctionne. Je pense que ma position est assez floue, et que je me trouve à la frontière de l’Art et de l’artisanat.
N’ayant aucune formation en céramique, comment est-ce que tu gères les risques liés à ta pratique ?
Charlie : Après la deuxième cuisson, quand j’ouvre mon four d’émail, je ne suis jamais sereine. J’ai encore des pièces qui se fissurent, sans vraiment que je sache pourquoi. En plus d’être parfois capricieuse, la terre demande une certaine rigueur. Il y a une grosse part de surprise dans le processus de fabrication. Par exemple, les couleurs changent pendant la cuisson et la terre se rétracte, délaissant l’objet d’une certaine épaisseur. Ça peut paraître paradoxal, mais j’aime bien ces contraintes techniques. En général, plus le cahier des charges est lourd, puis je trouve le projet stimulant. C’est un véritable défi.
Comment est-ce que tu travailles autour de la couleur ?
Charlie : J’aime bien les couleurs assez vives, du coup c’est ce qu’on retrouve en majorité sur mes pièces. Quand je regarde ce qui se fait dans le domaine de la céramique ou de la porcelaine, je me rends compte que les artistes font des recherches de couleurs très élaborées. Je pense que j’y viendrais un jour. Pour l’instant, j’aime bien quand c’est flashy. Parmi l’ensemble des teintes qui existent, j’ai une passion pour le bleu, tous les bleus. En ce qui concerne mon travail, on retrouve toujours du noir, du blanc et une autre couleur.
Liberté, curiosité, spontanéité
Notre petit doigt nous a dit que tu partages ton atelier avec d’autres personnalités créatives, dans quelle atmosphère aimes-tu créer ?
Charlie : Je travaille beaucoup en musique. Je me laisse inspirer par les mélodies que j’écoute, cela fait vraiment partie de mon processus créatif. Souvent, le nom de mes collections a un rapport avec l’album que j’écoute à ce moment-là. Si une certaine musique me parle, je peux l’écouter en boucle toute une journée pour conserver cet état d’esprit, cette vague d’émotions.
Est-ce que l’hyperactivité fait partie de ton processus de création ?
Charlie : Si je fais des petites quantités, ce n’est pas seulement dû à ma capacité de production. Je dois ça à ma rapide lassitude. J’ai une curiosité qui m’entraîne rapidement ailleurs, sur des terrains constamment en mouvement. Je ne me lasse pas parce que je m’ennuie, mais parce qu’il y a un nouveau challenge qui m’intéresse encore plus que les projets déjà réalisés. Quand le processus de fabrication d’une pièce arrive à sa fin, après les croquis, les maquettes et la réalisation, je n’ai qu’une envie, c’est recommencer un cycle créatif avec la nouvelle idée que j’ai en tête. J’ai l’impression d’avoir toujours un coup d’avance. Une idée en cache une autre, une idée en chasse une autre. Ce sont cette recherche de nouvelles solutions et cette résolution de nouveaux mystère qui me passionnent au quotidien. J’aime bien penser qu’on n’a jamais fini de chercher et que tout est toujours possible.
Une phrase ou un conseil pour les artistes en herbe ?
Charlie : Je pars du principe qu’il ne faut jamais abandonner. J’essaye de garder ça en tête, même quand j’ai des pièces qui sont ratées, des pièces qui ne plaisent pas ou d’autres qui ne sont pas comprises. Je me convaincs que ce n’est pas grave.
Plus que de raconter des histoires, chez Souffle Chaud nous nous attachons à mettre la lumière sur des personnalités artistiques attachantes et hors du commun. Charlie est l’exemple de cette scène artistique en mouvement, libre et fougueuse.
Pour une fois, on se dit que le point final ne peut pas venir se poser ici. Car Charlie nous donne l’impression que cette rencontre n’est qu’une ébauche, qu’un point de départ prometteur vers un futur beaucoup plus vaste.
Sans se l’avouer, nous ne pouvons nous empêcher de penser que dans deux ans l’artiste aura certainement fait évoluer sa pratique, changé de lieu et de matières premières. Dès lors, à cet instant précis, sortie de nulle part, une petite voix résonnera dans notre tête, se demandant naïvement “où est Charlie ?”.
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