Aux alentours de midi, un samedi de janvier, un univers parallèle nous attend : le monde de Victoria Lacombe. La jeune artiste nous ouvre les portes de son cocon de papier où se promène une peuplade d’âmes rapiécées. Un chat angora montre le bout de son nez et nous guide jusqu’à un bureau cosy, meublé d’un patchwork de chaises et de fauteuils multicolores.
Dans son atelier, au milieu des piles de magazines et de ses nombreux outils, Victoria donne naissance à des chimères, des personnages composites et morcelés, des portraits en lévitation. La magie opère sous les coups de ciseaux et les visages prennent vie, petit bout par petit bout, lors d’un assemblage aussi minutieux qu’instinctif. Dans son laboratoire, cette chirurgienne en herbe fait des expériences à cœur ouvert, découpe et rafistole au gré de son inspiration.
Attirée par les arts appliqués, Victoria commence par faire du graphisme. Au cours de ses premières expériences professionnelles, elle se rend progressivement compte qu’elle ne trouve pas l’intérêt attendu pour le domaine de la publicité. Pour répondre à son besoin de création pure et son appétence pour les arts plastiques elle s’inscrit ainsi à l’École Supérieure d’Art et de Design d’Orléans. Une prise de conscience pour la jeune femme.
Victoria : Je n’allais pas être artiste, il me fallait un plan B. J’ai donc étoffé mon cursus avec des études en art thérapie. En parallèle, j’ai tout de même gardé cette passion des collages, née au cours de ma scolarité.
Une discipline qui colle à la peau
Le collage fait partie de l’une des pistes explorées par Victoria lors de ses études. Le coup de cœur se fait naturellement. Elle s’approprie et développe cette pratique, tout en y apportant sa touche personnelle. Une volonté de faire vibrer ses collages : aller au-delà de l’assemblage à plat, faire vivre les œuvres différemment, repousser la limite du support.
Victoria : J’ai fait des bijoux à partir de mes collages pendant 3-4 ans, j’ai monté ma marque et développé mes créations. Mais progressivement cela ne me correspondait plus. Pour pas mal de raisons d’ailleurs : un rythme trop répétitif, un aspect trop commercial et des contraintes de support trop fortes. En bref, un quotidien qui devenait peu épanouissant. J’ai eu besoin de retrouver ma liberté, de créer sans être soumise à des obligations de rendement, à des créations attendues, en somme j’ai eu besoin de retourner aux bases de ma pratique artistique.
Victoria abandonne les bijoux et en profite pour donner un nouvel élan à sa pratique créative. Sous cette impulsion, la discipline évolue, le collage se métamorphose, suit une nouvelle dynamique sensorielle, sort du cadre.
Victoria : Aujourd’hui je fais beaucoup de collages en volume, dont certains sur le principe de l’anamorphose. Une superposition dans l’espace de morceaux indépendants qui forment une scène si on respecte une certaine perspective, unique clef d’entrée de ce monde parallèle. C’est assez plaisant, car il y a un aspect délicat, un peu casse-gueule et bancale, mais qui arrive à se reconstituer fragilement si on parvient à trouver le bon angle.
L’humain comme source d’inspiration
Victoria est art-thérapeute. Au quotidien, elle accompagne des patients souffrants d’addiction et d’autres en psychiatrie. Son travail consiste à apporter un soutien psychologique au travers d’une pratique artistique. Victoria croit en l’impact bénéfique des travaux manuels sur les personnalités dépendantes ou en souffrance, confrontées à des blessures de la vie. Bien qu’il puisse parfois y avoir une confusion entre Art et thérapie au sein même des équipes professionnelles, elle est consciente que ces sessions représentent un premier pas vers la guérison, une façon de désamorcer les conflits intérieurs.
Victoria : Lors de ces ateliers, j’ai un peu le cul entre deux chaises : je ne suis ni psychologue, ni artiste. Il m’a parfois été difficile – surtout au début de ma pratique – de trouver la place que l’on veut occuper en tant que thérapeute. Je suis là pour donner la possibilité aux gens de faire quelque chose par eux-mêmes, leur faire découvrir le processus de création et instaurer un échange spontané.
Cette dimension sociale qui passionne Victoria témoigne de son attrait pour la thématique de l’Humain au sens organique du terme. Il existe ainsi une corrélation entre l’être et l’œuvre, une passerelle affective qui lie le cheminement personnel et le parcours professionnel de la jeune artiste.
“ Les choses que l’on fait et qui nous inspirent sont forcément en écho avec qui on est, ce qu’on a et d’où on vient. ”
Si Victoria ne semble pas savoir d’où vient sa fascination pour les portraits, ce fil conducteur n’est peut-être pas le fruit d’un hasard. Sa vision hybride de l’être humain, où s’assemblent des morceaux d’origines différentes devient soudainement réaliste. Bien que cela ne soit pas visible à l’œil nu, nous sommes une accumulation d’éléments, d’atomes contextuels, une superposition sans fin de couches invisibles. Un patrimoine immatériel émotionnel qui nous définit et s’étoffe au gré des années.
Victoria : Je pense que mes collages sont à l’image de la complexité humaine : cet ensemble de facettes, cette ambivalence qui nous caractérise.
Les émotions contraires
À la fois structurées et déstructurées, les œuvres de Victoria se nourrissent de paradoxes et sèment le trouble. Si les compositions sont conceptuellement robustes, elles restent le symbole d’une vulnérabilité latente, une délicatesse évidente qui pose le spectateur en funambule. En équilibre sur un fil, il convient d’absorber et d’analyser les différents niveaux de lecture, pour le plus grand plaisir des yeux.
Victoria : J’aime bien la notion de bricolage où l’intuition prend le dessus. Je me retrouve souvent à vouloir produire quelque chose de très solide, sans pour autant parvenir à un dénouement stable. J’utilise des matériaux qui sont fragiles de nature, qui me poussent à me dépasser pour dompter cet aspect altérable et presque éphémère, comme si à chaque instant, tout pouvait s’écrouler.
Nous laissons ainsi Victoria sur cette métaphore du château de cartes qui exprime à elle seule toute l’ambiguïté de son univers. Une rencontre teintée de poésie, d’optimisme, de mystère et de belles énergies.
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