C’est près de Pont de Sèvres, aux abords du paisible jardin de l’île Seguin que nous avons rendez-vous avec Arthur Hent. Intrigués par ses œuvres qui mettent en scène des réseaux tentaculaires colorés, nous sommes impatients d’en apprendre davantage. Le vent s’engouffre dans les feuilles des frêles arbrisseaux pendant que le soleil danse. Une inspiration, le prélude.
Concepteur-rédacteur dans le domaine de la publicité, Arthur a toujours entretenu une relation particulière avec l’Art, son travaille lui permettant de côtoyer une sphère créative au quotidien. En parallèle de cette activité professionnelle, il a décidé, il y quelques années de cela, d’archiver sa vie dans un langage qu’il a lui-même inventé. Grâce à ce code créé de toute pièce, il compile et exprime ses idées, ses émotions et ses sentiments.
Partons à la découverte de ce qu’Arthur qualifie de “rituel méditatif” et explorons, le temps d’un dialogue, les dédales qu’il crée. Dans cette démarche aux allures de résistance algorithmique face à l’omniprésence des mathématiques dans la société, chaque dessin correspond à une période de la vie de l’artiste, un épisode de son existence. Bienvenue dans l’un de ces chapitres biographiques.
Lecture entre les lignes
D’où t’es venue cette idée de produire des autoportraits graphiques ?
Arthur : J’ai commencé ce processus d’archivage suite à une vision. Un jour, j’ai tout simplement vu ce que j’allais faire. Deux lignes très nettes sont apparues dans l’espace, devant moi, et en comprenant leur sens, je les ai progressivement mis au centre de ma démarche. Il m’a fallu quelques années avant de pouvoir matérialiser cette révélation. Mais en rentrant d’un long voyage en Nouvelle Calédonie j’ai eu le déclic : j’ai eu un besoin de m’exprimer organiquement, directement et sincèrement, à ma façon.
Arthur part alors de la ligne puis construit, à la main, un raisonnement géométrique que l’on pourrait comparer à un alphabet. La ligne témoigne, les angles racontent, les formes chantent. Dans ce labyrinthe personnel et symbolique se promènent les réflexions de l’artiste, chaque mouvement de l’âme étant graphiquement unique.
Arthur : On retrouve toujours trois éléments dans mes dessins : la ligne, le quadrilatère et le centre. Ces points de repères figuratifs tiennent compte de ma façon de penser et de mes croyances. Personnellement, je ne crois qu’en une seule chose : l’énergie. Ce qui m’intrigue dans la vie, c’est l’énergie qui nous traverse, la manière dont on se connecte les uns aux autres, cette force invisible qui nous anime jour après jour. Je suis persuadé que c’est ce qui nous produit et ce qui nous construit : le corps, les émotions et enfin la conscience.
Selon l’artiste, la ligne est plurielle. À l’échelle d’une vie, elle représente un cycle, commençant par la naissance et se terminant par la mort. À l’échelle de l’individu, la ligne est un élément d’introspection. Elle représente les énergies qui habitent l’être humain. Toutefois, les lignes intérieures d’Arthur ne s’apparentent pas à de simples droites infinies : les segments se révèlent complexes et abritent des ramifications. Ainsi, les lignes apparaissent, disparaissent, se combinent et se croisent dans un élan substantiel et électrique.
Arthur : Le quadrilatère est venu assez naturellement dans mes compositions. Au début, je travaillais principalement avec des lignes et puis je me suis rendu compte que j’avais besoin d’un socle pour lier tous ces flux d’énergie. Le quadrilatère me sert d’origine, c’est un moyen de me définir, c’est à la fois un point de départ et le centre névralgique de l’énergie que je véhicule. Il est constamment en mouvement et symbolise, entre autres, le milieu social, l’apprentissage ou encore notre mémoire.
Pour finir, le troisième élément caractéristique du travail d’Arthur est le centre. En étant au cœur des compositions, les éléments sont partout et nulle part à la fois. Le centre sert de fondations à la structure, de point d’équilibre où les possibilités sont aussi bien inexistantes qu’infinies.
Arthur : Je trouve que dès que l’on est dans un angle où dans un espace trop près du bord, on se retrouve figé, lesté d’une direction, d’une place dans la société et dans la hiérarchie sociale. En restant au centre, j’occupe une place qui me permet de me connecter en permanence avec toutes les autres énergies.
Le miroir aux algorithmes
La plupart des œuvres d’Arthur porte le nom d’autoportraits. Ce terme très courant dans le milieu de la peinture et du dessin est ici surprenant au vu des réalisations. Ne cherchez ni visage, ni signe distinctif physionomique, ni membre du corps humain. L’artiste repousse les limites de la représentation du “je”. Ainsi, ce ne sont pas les traits physiques externes qui sont dépeints mais bel et bien les fluctuations spirituelles, la psyché, l’étincelle intérieure.
Arthur : Je les ai appelé comme ça car c’est exactement ce qui se passe quand je dessine : je représente ce qui me traverse. C’est un peu comme du dessin automatique, je laisse l’énergie du moment s’exprimer. Les choses se mettent en place assez naturellement, ligne après ligne, et à un moment donné, j’interviens pour établir un équilibre. Comme je suis la matière première, je trouvais ça cohérent d’utiliser le mot “autoportrait”, même si la réflexion dépasse la représentation au sens primaire du terme.
D’où te vient cette passion pour le dessin ? Pourquoi est-ce que tu crées ?
Arthur : Quand je dessine, je réponds à une sorte de besoin. Ce n’est pas un élan incandescent ni une impulsion écorchée vive, mais plutôt une force calme et posée qui me guide dans mon cheminement créatif. Je trouve qu’il y a quelque chose d’assez chamanique dans mon processus : je fais face à une énergie bouillonnante, en désordre, presque chaotique et, en travaillant, je m’efforce à trouver une harmonie entre ce que je ressens et ce que j’extériorise.
Pour réaliser ses oeuvres, Arthur se sert principalement de son smartphone comme support. S’il délaisse volontiers l’ancestrale peinture ou les traditionnels feutres, c’est qu’en plus d’être dans l’ère du temps, l’usage du digital vient supprimer certaines contraintes lors du processus de création. Est-ce alors le début d’une nouvelle époque où artistes et technologie ne feront plus qu’un, réunis autour d’une unique toile blanche appelée “écran lumineux” ?
Arthur : Ce qui m’intéresse dans le digital c’est l’instantanéité, pouvoir dessiner quand j’en ai envie, où j’en ai envie. C’est quelque chose que j’ai découvert par hasard en me baladant dans ce parc. J’avais cassé mon téléphone de l’époque et je devais en racheter un. En changeant de marque, à l’origine pour avoir un meilleur rendu photographique, je me suis rendu compte qu’une application me permettait de dessiner directement sur les clichés que j’avais pu prendre. C’est comme ça que tout a commencé. Et puis finalement, le langage que j’ai créé est, sans le vouloir, lié au futur de la communication, au transhumanisme et à une nouvelle forme d’expression. On peut choisir les mots pour dialoguer, mais également le figuratif ou les mathématiques. Je suis convaincu qu’il y a dans ma démarche une part de science qui correspond au monde actuel, résolument mathématique.
L’émotion comme nombril du monde
Une question nous vient alors en tête : comment, de l’extérieur, doit-on interpréter les dessins d’Arthur ? Une interrogation simple de prime abord, qui chamboule pourtant notre posture par rapport à l’environnement que l’artiste a mis en place. Si les œuvres sont très nombreuses rares sont celles qui possèdent une description complète, aiguillant ou informant le spectateur d’une potentielle lecture. Le public doit-il uniquement se satisfaire de l’esthétisme que dégage l’iconographie ? Doit-il attendre une explication développée de la part du créateur ? Ou devient-il maître du jeu et, à la manière d’un test de Rorschach, est libre de voir ce qu’il veut, donnant ainsi sa valeur à l’œuvre ?
Arthur : Je suis conscient qu’il y a très peu de clefs d’entrée dans ce que je présente. De mon côté, c’est déjà compliqué de mettre des mots sur des flux de pensées. J’aimerais que mon travail ne soit pas à comprendre grâce à un ensemble complexe de justifications théoriques, mais qu’il puisse s’appréhender de façon empathique comme le tambour d’un chamane ou les vibrations d’un chant. Je propose quelque chose de très organique en suivant un raisonnement mathématique, alors je vois mes réalisations comme un point d’entrée vers une réflexion sur le monde, une façon de se questionner sur l’énergie, le visible ou l’invisible. Même si ce n’est pas ma volonté première, je fais toujours attention à ce que le résultat soit agréable esthétiquement parlant, c’est peut-être mon côté pubard. Je me dis qu’en s’accrochant d’abord à la “beauté” des œuvres, une partie du public peut, par la suite, aller voir le raisonnement qui se cache derrière.
“J’ai parfois le sentiment que mes dessins sont tellement difficiles à accueillir qu’ils s’adressent en fait aux générations futures.”
Depuis l’avènement de l’art contemporain, de nombreuses voix s’élèvent en affirmant que l’Art devrait simplement être beau et transcendant, ne reposant pas sur un concept mais sur un esthétisme dépendant d’une technique prodigieuse. L’inaccessibilité de l’œuvre dépendrait ainsi, non pas de la difficulté à la comprendre, mais de l’impossibilité à la reproduire par la majorité du commun des mortels.
De ton côté, quelle est ta position par rapport au conceptualisme dans l’Art ?
Arthur : Je me situe en dehors du circuit artistique. D’ailleurs j’essaye de conserver cette liberté et cette indépendance en regardant le moins possible ce qui se fait ailleurs. Cela me permet de ne pas être influencer par d’autres façons de penser. Quand cela m’arrive, je regarde, je m’intéresse mais je ne suranalyse pas. À partir du moment où l’on a une mémoire de quelque chose, on a tendance à vouloir reproduire, à conserver certaines habitudes ou certains comportements. J’ai lu dernièrement l’interview d’un artiste à laquelle je n’ai rien compris tant les propos de celui-ci se complaisaient dans un intellectualisme hypertrophié. Quand il faut trop de mémoire, trop de savoir et trop de connaissances pour avoir accès à l’œuvre, je décroche. Je sais que je suis mal placé pour dire ça car ma pratique peut parfois sembler imperméable. Toutefois, derrière cette carapace, on ne trouve que de la spontanéité. Je ne construis pas mon travail sur une culture ou un apprentissage mais bien sur une vérité qui m’est propre.
“Je ne souhaite pas que mon approche soit intellectuelle, je veux qu’elle reste pulsionnelle, qu’elle se fonde sur l’énergie et non le concept.”
Quels sont tes projets pour la suite ?
Arthur : S’il devait y avoir une évolution de mon travail, je pense que le résultat serait collaboratif. J’aimerais travailler avec des gens pour qu’il puissent s’approprier mon langage et, à leur tour, restituer leurs émotions, leurs perceptions et leurs propres visions de l’univers. Je trouve que la pratique du dessin est libératrice, proche d’une forme de thérapie.
L’entretien touche à sa fin. Et même si nous ne sommes pas encore capables d’utiliser ce nouveau langage, nous sommes ravis d’avoir pu toucher de plus près une sphère où se mélangent poésie, philosophie et contemplation. Ces quelques échanges nous auront permis, telle la Pierre de Rosette, de déchiffrer une partie de l’énigme Arthur Hent.
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