Rendez-vous sur les quais du 10ème arrondissement, au Point Éphémère. Certains jouent au ping-pong, d’autres boivent des paroles. La foule est éclectique et électrique, le courant passe. C’est dans cette machine hybride – bar, salle de concert, galerie d’exposition – que nous retrouvons le groupe Minou, porté par Sabine (basse, clavier, chant) et Pierre (guitare, clavier, chant).
Le tandem propose une pop vespérale, parfois sombre, souvent étincelante, à écouter quand la nuit tombe sans avoir peur du lendemain. Les chansons du duo se consomment en capsules, en intraveineuse, s’inhalent. Minou est une drogue douce énergisante. Une énergie à l’image du félin qui habite le nom de cette formation musicale : des coups de griffes, des ronronnements et des pulsions fiévreuses. Mi-chat de gouttière mi-fauve pur-sang, le couple surprend avec des sons entre douceur et bestialité.
Le temps d’un flash-back, nous partons à la rencontre du binôme et de son histoire. Un voyage rétrospectif entre souvenirs, anecdotes et souhaits. Une jolie entrevue dans un endroit emblématique, l’occasion pour Sabine et Pierre de nous parler de leur prochain album, toujours en cours d’écriture.
Pourquoi avoir baptisé votre groupe Minou ?
Sabine : À la base c’est parti d’un surnom affectif qu’on se donnait entre nous. On trouvait ça pas mal car il permettait de véhiculer une certaine ambiguïté. Avec un nom comme Minou, on était certain interpeller les gens, de générer un léger mystère qui ne pouvait qu’interpeller. Le double niveau de lecture du mot et les différentes possibilités d’interprétation nous ont poussé à le conserver comme nom de scène. On retrouve une certaine notion de douceur mais également une connotation sexuelle sous-jacente. Comme ça nous plait de choquer les gens, ce nom nous correspondait bien.
À quel moment s’est concrétisé ce projet de duo ?
Pierre : Avec Sabine, on joue ensemble depuis le lycée. On a été dans plusieurs groupes tous les deux, à soutenir des projets musicaux mais également des artistes. À l’été 2012, on s’est recentrés autour de compositions qui traînaient à droite à gauche pour former Minou. À partir de ce moment-là, on s’est dit qu’on voulait monter notre duo sans concessions et le projet a vite pris forme. Je pense que seulement trois mois après on était déjà en studio pour enregistrer les premières maquettes.
Comment caractériseriez-vous votre univers musical ?
Pierre : C’est difficile pour nous de définir notre propre univers musical. Si je devais choisir un mot pour décrire notre style, je pense que je dirais « complexe ». Ça reste de la pop, mais nourrie de plein d’influences et de sonorités qui nous parlent. Pour résumer, on pourrait dire qu’on essaye de faire de la pop contemporaine, de créer de la musique qui nous ressemble, énergique, tout en s’efforçant d’être à la hauteur de ce qui se fait aujourd’hui. En même temps, il ne faut pas oublier que nous sommes des gamins des années 1980, période durant laquelle se sont forgées nos racines musicales. Notre objectif au quotidien est de créer une passerelle entre nos inspirations passées et nos aspirations futures, une sorte de combo fusionnel où se rejoindrait repères mélodiques et expérimentations.
Pourquoi avoir fait le choix de chanter uniquement en français ?
Pierre : Je pense qu’on ne chante pas en français pour les mêmes raisons. J’ai l’impression que Sabine préfère écrire en français car cela lui permet de s’exprimer sans barrière de langue, avec une certaine fluidité. De mon côté, je trouve que l’exercice tient du challenge. En effet, je n’ai que très peu d’influences françaises et donc de groupes dans lesquels je peux me reconnaître. Je trouve ça excitant de s’aventurer vers l’inconnu, de créer presque naïvement, sans reproduire un schéma déjà existant. On fonctionne beaucoup au feeling, mais une chose est sûre : Minou est un projet francophone et le restera.
Quels sont vos thèmes de prédilection quand vous écrivez des chansons ? Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une dimension autobiographique dans vos textes ?
Pierre : On avait la sensation que même si certaines chansons semblaient personnelles, le premier album n’était pas autobiographique. Le parti pris était de mettre une vraie distance entre ce que l’on racontait dans les textes et ce que l’on pouvait ressentir à cette période de notre vie. Je pense que c’était avant tout une certaine forme de pudeur.
Sabine : Notre premier album était très imagé, c’était une volonté, une direction créative. Ça nous plaisait de jouer avec les mots et les métaphores pour construire un univers de toutes pièces. C’est l’un des aspects qui est en train de muter dans l’écriture du deuxième album. Pour les prochains morceaux, on voit les choses sous un autre angle. On a envie d’ouvrir notre cœur, de dévoiler une partie de nous jusqu’à présent inexplorée.
À quel point ce deuxième opus va être différent ?
Pierre : C’est une autre manière d’écrire qui peut s’apparenter à une forme de psychanalyse. On se rend compte qu’il y a une sorte de satisfaction personnelle à faire de ce deuxième album un projet autobiographique. C’est comme se libérer d’un poids, transposer toutes nos émotions, aussi bien positives que négatives, en une substance artistique.
Où en êtes-vous dans le processus d’écriture ?
Pierre : On a quitté Paris il y a environ six mois de façon temporaire pour aller s’installer en Sologne, loin de tout, dans une maison de famille où nous avons la chance de ne pouvoir vivre qu’à deux. On a ramené tout notre matériel et étalé tous nos instruments un peu partout afin d’amorcer un nouveau cycle de création. Cela fait six mois que l’on expérimente dans ce studio géant, sans vraiment se poser de questions. Il y a plein de choses que l’on a jeté, mais également plein de pistes que l’on trouve intéressantes et qui semblent prometteuses pour la suite.
Sabine : Il s’est passé un certain nombre d’événements avant, pendant et après la sortie du premier album. On a vécu des moments de joie, mais également des tensions, avec des chemins qui n’allaient pas forcément dans les directions que nous envisagions. Ces facteurs contextuels et ces problèmes d’interactions, cumulés à l’agitation parisienne, nous ont poussé à prendre du recul pour éviter l’asphyxie. On évoluait dans une bulle de stress et de fatigue qui provoquait en nous un blocage créatif. Il fallait qu’on quitte Paris pour retrouver une sorte de paix intérieure et renouer avec notre essence artistique. Toutes les expériences que l’on a pu vivre et toutes ces émotions profondément enfouies en nous, serviront de socle à ce deuxième opus. Je pense que cette étape d’épuisement était nécessaire à la création de notre nouvelle ère, comme une remise en question inévitable.
Pierre : Il y a une période de deux ans pendant laquelle nous n’avons pas réussi à écrire le moindre mot. Entre la sortie du premier album et il y a quelques mois, nous étions incapables de produire la moindre chanson et même de prendre du plaisir à créer. Cette paralysie artistique nous a empêché de composer jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il fallait changer de perspective et se servir de notre blocage pour se réinventer. Du coup, le texte évolue beaucoup sur le deuxième album, et la musique n’est pas en reste. On tire des leçons du premier album pour réorienter notre démarche et la couleur que l’on souhaite donner au groupe. On souhaite donner un coup de fouet aux morceaux, avec une brutalité assumée pleinement, plus radicale. On ne s’interdit rien : pourquoi pas un morceau très techno et une ballade très années 80’s. Tout est envisageable !
Avec du recul, comment voyez-vous l’évolution de votre relation, des premiers rires aux premières larmes, des premiers succès aux premières galères ?
Sabine : Je pense que vous n’imaginez pas le nombre de chansons que nous avons pu écrire à la suite d’un désaccord puérile, d’une violente dispute ou d’une remise en question !
Pierre : Je pense que de manière générale on attend beaucoup l’un de l’autre, qu’il y a une sorte d’exigence réciproque qui guide notre relation. On est tout le temps ensemble : on vit ensemble, on travaille ensemble, on voyage ensemble… Il y a un véritable effet miroir qui se met en place. Quand on a l’impression que l’autre commet des erreurs, on a le sentiment que c’est toute une partie de nous qui s’égare. C’est pour ça qu’on est parfois impitoyable l’un envers l’autre, c’est comme si on se parlait à nous-même et qu’on essayait de s’auto-résonner. Avec un peu de recul, je me rends compte que l’évolution de notre duo est énorme. On s’est vraiment trouvés : au-delà d’un coup de foudre amoureux, c’est avant tout un coup de foudre « lifestyle », une complémentarité immédiate.
Sabine : Quand on arrive à s’accorder sur le fait qu’on valide une chanson, qu’on est sur la même longueur d’onde et qu’on est vraiment satisfaits du résultat, c’est magique. Dans ces moments-là on touche du doigts un bonheur incomparable. Je pense qu’on a littéralement grandi ensemble, et ce, dans tous les sens du terme. Quand on s’est rencontrés on était juste des gosses innocents avec des rêves plein la tête. Quand on prend un peu de recul, on se rend compte qu’on a réussi à en concrétiser une bonne partie, main dans la main. On a eu un parcours assez atypique, pas toujours très lisse avec notre dose de déceptions, et ça nous a beaucoup rapproché, tant personnellement que professionnellement.
Lors du processus de création, quel est le rôle de chacun ?
Sabine : Je travaille de plus en plus de mon côté, chose que je ne faisais absolument pas avant. J’ai appris à me servir des logiciels de son, j’en profite pour proposer des pistes créatives dès que je le peux. De manière générale, c’est souvent Pierre qui écrit les textes. De mon côté, je lui souffle des idées ou des thématiques que j’ai envie d’aborder. C’est un processus ultra-dynamique, ça fuse, c’est électrique, on échange à tout-va. Je crois qu’il ne faudrait pas qu’il y ait quelqu’un d’autre dans une pièce quand on compose parce que c’est un champ de bataille.
Pierre : Même si on travaille parfois chacun de notre côté, on essaye aussi de cumuler les phases de réflexion collective pour arriver à un résultat commun qui soit le reflet de nos deux personnalités. On a une sorte de règle tacite qui nous interdit d’avancer trop loin seul dans une composition. Minou fonctionne en tandem, chacun apporte un coup de pédale et on avance à un rythme de croisière qui nous convient à tous les deux.
Quelle relation avez-vous avec la scène française qui voit éclore de nombreux duos garçon-fille chantant en français (The Pirouettes, Kiz, Éléphant…) ?
Pierre : On garde un œil sur ce qui se fait à côté, sans vraiment rentrer dans le détail. Si on scrute avec trop d’attention les projets des autres, on a tendance à être bloqués dans notre propre cheminement créatif. En revanche, on adore voir ces artistes en live, on se fie aux concerts, car c’est à ce moment-là que l’énergie est la plus palpable. C’est assez bizarre parce qu’on adore cette scène, mais on a l’impression de ne pas en faire partie. En réalité, on a vraiment le sentiment d’être spectateurs de cette scène de pop française. Je pense aussi que ce n’est pas forcément quelque chose à laquelle on souhaite appartenir. Au fond de nous, on se sent beaucoup plus proche avec des artistes qui n’ont rien à voir esthétiquement avec Minou.
Quel est la place de l’image dans votre duo ? Est-ce que l’esthétique de votre deuxième album tend à prendre un virage ?
Pierre : Le projet Minou est clairement en train de faire sa crise d’adolescence ! Sur le premier album on avait vraiment le souci du détail, on avait envie de proposer un univers très esthétique et très esthétisant parce que ça nous plaisait d’aller dans cette direction-là. On a joué cette carte à fond en s’entourant d’une équipe avec la même palette d’intentions. Est-ce qu’on peut dire qu’on a voulu trop bien faire sur le premier album ? À titre personnel, je dirais que oui. On aurait peut-être dû faire parler davantage nos personnalités et moins ce à quoi on avait envie de ressembler.
Sabine : Les visuels du premier album correspondaient à notre première phase de création. C’était une période pendant laquelle on a été inspirés par de nombreuses expos et pas mal de films. C’est tout naturellement qu’on voulait vraiment mettre en scène une atmosphère singulière, théâtraliser la naissance du groupe. Nous avons évolué, nos préférences artistiques aussi. L’esthétique du prochain album devrait être moins tape-à-l’œil, moins figée, sans postures ni artifices trop colorés.
Quelles sont les chansons dont vous êtes les plus fiers, celles auxquelles vous êtes les plus attachés ?
Pierre : Celle qui nous ressemble le plus et qui a été la plus sincère dans la démarche de l’écriture c’est Montréal. Ça a été notre premier coup de foudre, une véritable révélation textuelle. Dans un deuxième temps, à titre personnel, j’ai une sensibilité particulière pour une chanson qui s’appelle Native. À la base on la voyait un peu comme un titre prématuré, on ne donnait pas cher de sa peau, puis finalement on a réussi à en faire quelque chose d’assez touchant. Et même si ce n’est pas le morceau le plus « singlelisable » de l’album, je garde une affection singulière pour ce titre.
Sabine : La chanson qui nous ressemble le plus, je crois que c’est Stenkors qui est dans l’EP « Besoin d’un renouveau brutal ». Elle est née d’une engueulade sévère, une époque à laquelle on se cherchait, où on se posait une tonne de questions existentielles. Elle représente vraiment toutes les idées noires qu’on avait dans le cerveau à ce moment-là. La deuxième chanson que j’aime bien, c’est Chambre Océan. C’est une amie à nous qui a écrit le texte et ce qui est marrant c’est que c’était notre voisine à l’époque. Je pense qu’elle entendait des choses qui se passaient chez nous, parce qu’on habitait juste en dessous d’elle : des moments de joie et des moments moins gais. Cette chanson est vraiment symbolique, et les paroles « Je faisais vraiment n’importe quoi, jusqu’au jour où j’suis tombée dans tes bras » racontent vraiment notre histoire. D’un côté, une fille qui se pose plein de questions, et de l’autre un gars qui la booste au quotidien : c’est nous, à 100%.
Pouvez-vous nous dévoiler un trait de caractère ou une manie de l’autre ?
Sabine : Quand Pierre cuisine, il ne faut absolument pas que quelqu’un le regarde faire. On compte un nombre incalculable de plats ratés parce que j’essayais de lui donner des conseils et que lui ne m’écoutait pas trop. C’est son territoire, je pense qu’il veut faire plaisir aux autres, que ça part d’une bonne intention. Je vous rassure, parfois c’est très bon !
Pierre : Dans le travail, Sabine a tendance à être très vite défaitiste, à très vite noircir le tableau, à cause de sa peur du regard des autres notamment. Du coup, je passe souvent mon temps à la rassurer et à faire en sorte de stopper cette remise en question perpétuelle et excessive de son travail et de ses choix créatifs. C’est un combat quotidien, mais c’est stimulant et ça nous rapproche. Tout ce qu’on vit ensemble renforce notre complicité.
L’entretien s’achève. Après cette vague de questions, le duo fusionne, rayonne.
Des paroles de Minou s’installent dans nos têtes, résonnent. Nous repartons sur les quais. La nuit est tombée. Nous n’avons qu’un seul regret : ne pas avoir une machine à voyager dans le temps en notre possession pour pouvoir danser sur les futurs sons de Sabine et Pierre.
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