Accueillis par d’ardents rayons de soleil, nous arrivons sur la petite place Sainte Marthe. Assis en terrasse, lunettes noires sur le nez, une cigarette à la main, Léo Marsal dégage un sentiment de tranquillité. Léo, c’est ce pote que tu n’as pas vu depuis longtemps mais que tu es content de retrouver car il sent la fête, est toujours de bonne humeur, prêt à te raconter des histoires.
L’univers de Léo est composite. L’artiste mélange, à loisirs, abstraction et figuration. Les dessins de Léo mettent en scène des personnages chimériques dont les silhouettes remettent en question les principes fondamentaux de la physique. L’anatomie est bouleversée, déviante et impulsive, les membres sont imparfaits, volontairement repensés, poussés vers les retranchements de l’irrégularité où l’asymétrie est souveraine.
Métaphore de l’aurore
Comment définirais-tu ton style et ton travail ?
Léo : Au quotidien, j’essaye de faire un mélange d’Art pur et de graphisme. Je m’inspire des techniques de communication et j’essaye de les injecter dans une démarche créative traditionnelle en faisant souffler un vent de liberté sur la technique et la représentation « réaliste ». Aujourd’hui, j’arrive à maîtriser ce va-et-vient, à passer d’une discipline à une autre en les faisant se chevaucher. Le graphisme m’a appris cette réflexion qui existe derrière chaque projet, cette interrogation sous-jacente qui mène à un résultat soigné et délicat. Le dessin, lui, a un côté plus libérateur, sans règles ni carcan, dans lequel on peut créer sans vraiment se poser de questions.
Pour l’artiste, le dessin est un exutoire. Lorsque certains se défoulent par le biais d’une activité sportive, Léo, lui, décide de tout oublier grâce à la pratique de l’illustration. C’est un moment à part, un instant de lâcher-prise solennel où le monde disparaît pour laisser place à une transe graphique.
Léo : Le dessin c’est ma vie. J’ai cette nécessité, ce besoin de dessiner. Depuis tout petit, j’ai toujours griffonné un peu partout, sur des carnets ou bien dans mes cahiers de cours. Je trouve que le dessin représente l’essence même de l’idée, du concept. Selon moi, il est impossible de réfléchir sans dessiner, c’est une étape cruciale du raisonnement. J’ai besoin de ce contact avec le papier où le lien entre le stylo et la main est prépondérant, c’est un point de départ indispensable à mes créations. Cela ne m’empêche pas de travailler à l’ordinateur pour certaines phases du processus, même si j’affectionne tout particulièrement le travail à la main. On retrouve une certaine vibrance des traits, une nervosité souvent loin de la perfection qui témoigne de la personnalité des créatifs.
Comment en es-tu arrivé à faire de la figure humaine ton sujet de prédilection ?
Léo : Pendant mes études, j’ai découvert le modèle vivant. Ça a été une véritable révélation pour moi. Je trouve qu’il y a un côté très basique qui relève des rudiments du dessin, notamment en ce qui concerne la composition ou les proportions. Mais c’est cette simplicité qui rend la scène magique : ce rapport de l’Homme nu dans l’espace, cette universalité brutale qui vient claquer la feuille blanche, pour finalement bouleverser le spectateur. Ce qui est beau, c’est la rencontre, le croisement qui se cache derrière chaque croquis. Chaque corps est différent et offre une palette de possibilités figuratives multiples. Quoiqu’il arrive, la surprise est toujours au rendez-vous.
“ J’ai eu une période pendant laquelle je ne dessinais que des doigts. Puis progressivement, je suis passé à une main, une jambe jusqu’à recomposer un corps dans son ensemble. ”
Érotisme et identité(s)
Qu’est-ce que t’évoque la notion de sexualité ?
Léo : Le sexe ? C’est incroyable. Quand j’ai découvert ça, j’ai été bouleversé. C’est un moment de lâcher-prise au cours duquel on se sent pleinement vivants. On donne, on reçoit : un échange sans concessions se met en place. C’est l’ultime forme de non-réflexion, une sorte d’instant où le cerveau ne cherche pas à théoriser mais à agir en communion vers un objectif commun qui est la procuration de plaisir. Ce qui est intéressant artistiquement parlant, c’est l’emboîtement, plus ou moins parfait, qui intervient pendant l’acte. C’est cette congruence que j’essaye de mettre en scène dans mes œuvres.
Est-ce qu’on pourrait dire que ton univers s’apparente à une douce violence ?
Léo : J’essaye d’explorer la limite qui peut exister entre la sexualité et la violence, cette frontière fascinante qui repose sur un équilibre des rapports de force. Comment est-ce que l’on peut tomber l’un dans l’autre, par exemple. Ce sont les différents degrés de violence qui rendent la chose intéressante, nuancée. L’agressivité que je mets en scène est la métaphore des émotions intimes qui nous poignardent parfois de l’intérieur. Les dessins symbolisent cette extériorisation des forces négatives. Je ne me place pas comme moralisateur, mon rôle n’est pas de juger mais bel et bien de prouver que la violence est omniprésente dans les rapports humains et dans le monde qui nous entoure.
Qu’est-ce qui te plait dans l’abondance de personnages ?
Léo : Au-delà d’un érotisme flagrant, c’est davantage l’entrecroisement qui me fascine. Dans ce mélange de corps, les individus s’affranchissent de leur identité, on ne sait plus si ce sont des hommes ou des femmes et cela n’a presque plus d’importance. Le spectateur doit faire avec cette perte de repères pour faire partie, à son tour, de cette juxtaposition des corps. Les entrelacs sont parfois lubriques, parfois innocents, parfois casse-têtes, parfois partouzes. Les membres se chevauchent, se pénètrent, se nouent dans un joyeux bordel. Les protagonistes, eux, ne sont pas toujours identifiables, portant sur leurs dos un patrimoine immatériel indécelable. Chacun est libre de se faire sa propre interprétation, chacun est libre de s’identifier, ou non, à un mouvement, une courbe ou un personnage. J’essaye de proposer une alternative universelle sans genre ni âge qui puisse toucher un peu tout le monde.
Est-ce qu’il y a dans tes œuvres une volonté de faire réagir les gens ?
Léo : Je suis conscient qu’un fist au premier plan peu parfois décontenancer. Mais je ne recherche pas à choquer le public à proprement parler, au contraire. Je suis peut-être un peu naïf, mais lorsque que ça choque, ce n’est pas fait exprès. Bien souvent, cela me tombe dessus, les gens remarquent des choses dans mes œuvres auxquelles je n’aurais pas pensé. Si mon univers graphique intrigue, c’est certainement car il stimule l’imaginaire. Parfois je laisse les gens se faire leur propre interprétation, parfois je les guide dans leur quête de sens. Je joue entre les clins d’œil évidents, les symboles universels et les références suggérées.
Futur proche
As-tu des projets pour la suite ?
Léo : Je suis en train de travailler sur un projet de livre pour enfants. J’ai une amie qui va avoir un bébé très bientôt et j’avais envie de lui offrir un cadeau très personnel, un support unique qui puisse raconter une histoire et rester un beau souvenir. C’est un peu aux antipodes de ce que j’ai l’habitude de faire en termes de douceur, mais c’est un challenge stimulant. Ça me permet aussi de ne pas m’enfermer dans une bulle où s’expriment uniquement violence et sexualité, de m’éloigner de mes repères habituels pour me renouveler, tout en conservant mon style. Ma référence dans cette démarche, n’est autre que Tomi Ungerer, peintre, dessinateur et illustrateur français. Il est connu pour ses dessins pour enfants, notamment les Trois Brigands ou Jean de la Lune mais à côté de ça, localement, il a également développé toute une esthétique érotique, par exemple via son projet Erotoscope. Je trouve que c’est absolument incroyable de pouvoir jongler d’un thème à un autre, d’une cible à une autre, sans pour autant être mal vu. C’est important, en tant qu’artiste, de cultiver ses différentes facettes et de ne pas rester fixe dans une galaxie infinie de possibilités.
L’entretien s’achève, le jeu de questions-réponses prends fin également. La conversation, elle, repart de plus belle. Nous échangeons librement en parlant de musique, de moments de vie, de bières artisanales et de voyages.
Le temps d’un instant, l’été semble faire son apparition, rappelant que le rythme de la vie est incessant, fougueux et sans interruption. C’est cette force trépidante, cette cavalcade continuelle qui se dégage du travail de Léo : une vive volonté de dépeindre le bouillonnement, la fluidité et l’imprédictibilité de l’existence.
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